Ambrogio Lorenzetti, l’Annonciation (1344, Sienne)


 

Peintre de l’école siennoise du Trecento, Ambrogio Lorenzetti (vers 1290 - 1348) est connu pour avoir réalisé l’une des premières peintures européennes « en perspective »: l’Annonciation, qui date de 1344.Cette technique va permettre de donner un sens symbolique profond à la peinture religieuse.

 

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L’événement de l’Annonciation

L’Annonciation est rapportée dans l’évangile de Luc (Lc 1, 26-38). Les personnages correspondent à ce récit.

L'ange Gabriel

L’ange Gabriel porte une palme et une couronne d'olivier. L’olivier symbolise la paix et rappelle la colombe de Noé, qui rapporta un rameau d'olivier. L’olivier symbolise également la douceur, la miséricorde, l'huile qui est un remède : l'Incarnation est en effet un remède, une miséricorde : Dieu se rend présent et se réconcilie l'humanité.

De sa main droite, l’ange lève le pouce, ce qui est rare dans cette représentation de l’ange de l’Annonciation. De la main gauche, il tient une palme. Cette palme est un symbole riche, que nous détaillons ci-dessous.

Le dialogue qui s’établit entre la Vierge marie et l’Ange est gravé sur le fond d'or du tableau.

La Vierge Marie

La Vierge Marie est profondément recueillie.

- Elle est assise sur un trône. En effet, elle devient la mère du roi qui règnera pour toujours, on dit aussi qu'elle est le trône de la Sagesse : Jésus étant la Sagesse.

- Elle porte une boucle d'oreille. C'est le propre des femmes juives. Dans le milieu chrétien en Italie du centre et du Nord, la boucle d'oreille est pratiquement inconnue depuis le X° siècle, mais les femmes juives la porte souvent et le 4° concile de Latran tenta d'en faire un signe distinctif.

Elle regarde vers le ciel et accueille la venue du st Esprit ( sous la forme d’une colombe).

Sur ses genoux, le livre dont elle a interrompu la lecture est une allusion au Christ, qui est le "Verbe", la Parole de Dieu.

Catherine de Sienne aimait dire :

« [Ô Marie, mon doux amour] en toi le Verbe est écrit, Lui par qui nous avons la doctrine de la vie : tu es la Table qui nous donnes cette doctrine »[1]

Le dialogue, accomplissement du mystère

- La première salutation de l'ange "Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi" est inscrite dans l'auréole de Marie.

- Le début de sa dernière salutation est inscrit en lettre d'or sur le fond d'or et correspond à la parole : "rien n'est impossible à Dieu". Il est inscrit horizontalement et croise la colonne en formant une croix.

- La réponse de la Vierge, écrite de droite en gauche et la tête en bas, est orientée vers le Christ peint sur le cadre. "Je suis la servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole". Cette réponse semble la voie d'accès à la colombe blanche qui descend vers la Vierge, colombe qui symbolise l'Esprit Saint -logiquement, puisque c'est cette réponse de Marie qui permet l'Incarnation.

L'architecture va souligner ce mystère.

Une représentation de l’espace et une architecture symboliques

Cette Annonciation est l’une des premières œuvres réalisées en perspective.

La perspective se lit surtout sur le pavement : les lignes perpendiculaires au plan de base convergent en un point (le point de fuite) et les éléments sont proportionnellement plus petits à mesure qu'ils s'approchent de ce point.

Il s'agit quasiment une représentation mathématique de l'espace, qui prend une valeur symbolique: la Vierge Marie et l'ange Gabriel se situent sur le pavement, car ils sont dans le monde visible, ils sont dans notre monde matériel.

La perspective régulière du tableau, permettent au peintre de représenter l'entrée de l'éternité dans le temps, le contact entre le divin et l'humain.

Le peintre a cependant fait volontairement une exception à la représentation en perspective.

Le fond d'or est, dans la partie basse comme un mur devant lequel sont les personnages, mais dans la partie haute, il est comme le fond d'une icône byzantine.

Les paroles de la salutation de l'ange sont gravées dans le fond d'or.

Les personnages sont à la fois sur le plan humain rationnel où joue la perspective, et sur le fond d'or du monde divin, au delà de l'espace du temps.

Au centre du tableau, la colonne appartient au fond d'or dans la partie haute puis devient opaque dans la partie basse régie par la perspective.

Cette colonne fait le lien entre le fond d'or, symbole de l'éternité, du ciel, de la vie divine, et la partie régie par la perspective, c'est-à-dire le monde visible, à un moment de l'histoire, un grand moment, la « plénitude des temps » (Ga 4, 4).

Autrement dit, cette colonne représente Dieu fait homme, le grand mystère de l'Incarnation.

Par ce fond d'or et la colonne, le peintre représente la venue du divin (infini), dans l'humain (fini).

L'arcade

La forme de l'arcade symbolise les tables de la Loi. Le message est le suivant:

Celui qui s'incarne en Marie est Dieu, le Législateur.

Jésus va rendre l'humanité capable de vivre la loi de Dieu, il va en donner la grâce, et les Chrétiens ne vivent plus sous la loi mais par la foi, par la grâce. L'homme n'est plus seul pour déchiffrer la loi de Dieu, l'interpréter de son mieux pour s'orienter sur la mer agitée de ce monde : en Jésus Dieu montre la voie, éclaire l'intelligence, et guide l'homme vers le but.

La croix

Sur le fond doré, la ligne horizontale des paroles de l'ange croise la colonne, et cela forme une croix.

La palme, symbole de victoire

La palme évoque la victoire (1 Mac 13,37 et 2 Mac 14,4). En outre, dans l'antiquité, la branche de palmier est offerte au vainqueur comme emblème de sa victoire, et elle est portée triomphalement. La littérature judéo-chrétienne avait repris ce symbole comme trophée de victoire. Dans le Pasteur d'Hermas (Similitude 8,2) les justes sont couronnés de palmes.

L'Annonciation suggère une victoire difficile : l'ange dit à Marie « Le Seigneur est avec toi » et « Sois sans crainte » (Lc 1, 28. 30), comme pour Gédéon (Jg 6,12). Une telle salutation vise à l'encourager avant de recevoir une mission difficile où le Seigneur l'assistera et lui donnera la victoire.

La palme évoque aussi la vie du monde à venir:

"De même que le palmier ne projette son ombre qu'à une certaine distance, de même le juste ne reçoit sa récompense qu'après un certain temps, souvent même il ne la reçoit que dans le monde à venir" (Midrash Nombres Rabbah 3,1)

Cette perspective du monde à venir est présente à l'Annonciation : l'enfant annoncé sera roi, et "son règne n'aura pas de fin" (Lc 1, 33).

Le symbole du palmier

Le palmier est aussi considéré comme un symbole de la Vierge Marie en raison de ce passage du Cantique des Cantiques :

« Dans ton élan, tu ressembles au palmier, tes seins en sont les grappes. » (Ct 7,8)

L’application du Cantique des cantiques (Ct 7,8) convient bien aussi à Marie qui est en effet pleine d’élan dans sa foi et sa charité, et qui de ses seins va nourrir l’enfant Jésus.

Sources :

-Daniel ARASSE, L'Annonciation italienne, Edition Hazan, Paris 1999, p. 34-38 et p. 72-77

-Lucia IMPELLUSO, La nature et ses symboles, Editions Hazan, Paris 2004, p. 25

-I. De la POTTERIE, Marie dans le mystère de l'Alliance, Desclée, Paris, 1985, p. 43-45


 

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Pour en savoir plus

 

-sur l’Annonciation, dans l’Encyclopédie mariale

www.mariedenazareth.com/index.php

-sur l’Annonciation dans l’art, dans l’Encyclopédie mariale

www.mariedenazareth.com/encyclopedie-mariale/la-vierge-marie-dans-lart/panorama-artistique-de-la-vie-de-jesus-et-de-la-vierge-marie/lannonciation-dans-lart/

 

 

F. Breynaert et l’équipe de MDN.