Au IIe siècle, les opposants au christianisme ridiculisaient l'affirmation qu'un Dieu se soit fait homme, et qu’il ait été crucifié. Les premiers chrétiens ont dû combattre ce mensonge. En outre, à l'intérieur même de l'Église, fleurissaient des hérésies pour nier l'Incarnation et de l'abaissement de Dieu. Saint Ignace d’Antioche est le premier écrivain chrétien dont les écrits nous soient parvenus. Ses épîtres témoignent du combat qu’il a mené contre les hérésies de l’époque.
Ce n'est qu'une réalité spirituelle, disent les gnostiques. Tout ce qui est abaissement n'est qu'une apparence, disent les docètes. Pour d'autres, il n'y a plus du tout d'abaissement de Dieu, Jésus est un homme, lors du baptême l'Esprit de Dieu vient en lui et sur la croix, Dieu l'abandonne, il meurt simplement en homme, ce n'est pas Dieu qui assume le refus et la mort, en pardonnant.
Le paradoxe chrétien de l'humanisation de Dieu, le Verbe s'est fait chair, ne fut pas j'accepté de ceux qui étaient préoccupés de sauvegarder la transcendance de Dieu et qui regardaient la création avec pessimisme: tout ce qui est indigne de Dieu est un scandale insupportable, c'est une promiscuité dont il leur apparaissait important de protéger Dieu à tout prix. Ils furent appelés "Docètes", du verbe grec dokein = apparaître, parce qu'ils inventèrent la doctrine selon laquelle le Christ n'aurait pas vraiment assumé notre condition mortelle, mais seulement son apparence.
Ignace d'Antioche devina le point faible et aussi la gravité du courant docète. Il répondit que la transcendance de Dieu n'est pas entamée par l'incarnation, parce que la création, et en particulier la création humaine est une bonne chose dès lors qu'elle vient de Dieu. C'est en effet à travers elle que Dieu se révèle, nous atteint et nous sauve. Le salut professé par l'Église n'est pas une révélation désincarnée des mystères célestes, comme les Docètes le pensaient, mais elle comporte des faits historiques et concrets et des actions vraies et humaines du Christ, Dieu incarné par Marie. En autres termes : Jésus n'était pas un homme-ombre, un fantôme ni avant ni après la résurrection.
Dans ce contexte, Ignace ne manque pas d'ironie quand il dit aux Docètes:
"Si c'est une apparence tout ce qui a été fait par le Seigneur, moi aussi je suis en apparence enchaîné" (A Smyrne 4,2).
Au-delà de l'ironie, Ignace confirme les faits et les événements historiques qui ont ponctué l'histoire terrestre du Christ depuis sa conception virginale et sa naissance.
Dans la Lettre aux Tralliens, saint Ignace d’Antioche donne ces conseils :
« Soyez donc sourds quand on vous parle d'autre chose que de Jésus-Christ, de la race de David, [fils] de Marie, qui est véritablement né, qui a mangé et qui a bu, qui a été véritablement persécuté sous Ponce Pilate, qui a été véritablement crucifié, et est mort, aux regards du ciel, de la terre et des enfers, qui est aussi véritablement ressuscité d'entre les morts. C'est son Père qui l'a ressuscité... »[1]
Le Christ descend de David, mais l'important n'est pas tellement David : ce qui compte c’est que la réalité de l'humanité du Christ n'est pas une apparition, un fantôme, un esprit.
Ignace n'utilise pas un titre pour dire Marie, il dit simplement "Marie" : ce qui l'intéresse c'est Marie en tant qu'être humain ayant existé dans l'histoire.
Marie est essentielle dans l’économie du salut parce qu'elle a donné à Jésus un vrai corps par lequel Jésus est « réellement », né, persécuté, crucifié, ressuscité.
Dans le texte cité ci-dessus, saint Ignace répète quatre fois l'adverbe "véritablement " (en grec : alethos):
Saint Ignace d’Antioche expose également, avec beaucoup de fermeté doctrinale, la conception virginale de Marie:
« Fils de Dieu selon la volonté et la puissance de Dieu, issu vraiment d'une Vierge »[2].
La Vierge divinement enceinte et enceinte de Dieu est donc la garantie que le Christ est vraiment le Fils de Dieu et qu’il nous a ensuite vraiment sauvés, c'est-à-dire divinisé. La conception virginale signifie en effet que Jésus préexiste à sa naissance selon la chair.
Il y a, au sujet de tout ce qui a été dit jusqu'à présent, un texte qu'on pourrait définir comme un fragment d'hymne liturgique, et qui fait une synthèse théologique de tous les aspects de la réalité historique-salvatrice du Seigneur:
« Il n'y a qu'un seul médecin,
charnel et spirituel,
engendré et inengendré,
venu en chair, Dieu
en la mort vie véritable,
[né] de Marie et [né] de Dieu, d'abord passible et maintenant impassible,
Jésus-Christ notre Seigneur. »[3]
Dans la succession de ses actions, de l'Incarnation et jusqu'au-delà de la Résurrection, il est "de Dieu", et il reste "de Marie". Marie est une présence immanente dans le mystère qui sauve parce qu'elle est la source de l'élément humain avec lequel Dieu sauve l'homme. Ignace professe une communion mystérieuse entre Dieu et Marie en vue du Christ, il suggère une idée presque sponsale.
Source :
-Traduction : Texte français de Th Camelot, SC 10, Cerf 1968, p. 75-77 et p.119
- F. Bergamelli. Caratteristiche e originalità della confessione di fede mariana di Ignazio di Antiochia, in La mariologia nella catechesi dei Padri (età prenicena) (a cura di S. FELICI), Las, Roma 1989, 66-68.
[1] Saint Ignace d'Antioche, Lettre aux Tralliens, IX
[2] Saint Ignace d'Antioche, Lettre à Smyrne 1: SC 10, 132.
[3] Saint Ignace d'Antioche, Lettre aux Ephésiens VII, 2.
-sur les chrétiens du IIe siècle : dans le monde mais pas de ce monde, dans l’Encyclopédie mariale
-sur les pères apostoliques du IIe siècle, dans l’Encyclopédie mariale
A. Gila et l’équipe de MDN.