28 - L’arrivée à Bethléem (mardi 10 décembre -5)

Evangiles

Date :

Mardi 10 décembre -5

Lieu :

Bethléem

 

Vision de Maria Valtorta :

28.1 Je vois une grande route. Il y a un monde fou : des ânes vont dans un sens, chargés de meubles et de personnes, d’autres en sens inverse. Les gens éperonnent leur monture, et ceux qui marchent à pied se hâtent à cause du froid.

L’air est pur et sec, le ciel serein, mais tout a cette netteté propre aux jours de plein hiver. Dénudée, la campagne paraît plus vaste, et les prés sont revêtus d’une herbe courte, brûlée par les vents d’hiver ; sur les pâturages, les brebis sont en quête d’un peu de nourriture et vont à la recherche du soleil qui commence à poindre. Elles se serrent les unes aux autres parce qu’elles ont froid elles aussi, et bêlent en levant le museau en direction du soleil, comme pour lui dire : « Dépêche-toi, il fait froid ! » Le terrain est fait d’ondulations qui deviennent de plus en plus nettes. C’est un vrai paysage de collines. Il y a des déclivités herbeuses et des côtes, il y a des vallons et des crêtes. La route passe au milieu et se dirige vers le sud-est.

Marie est montée sur son âne gris, tout enveloppée dans son lourd manteau. A l’avant de la selle se trouve le dispositif que j’ai déjà vu lors de son voyage à Hébron et, par-dessus, le coffre contenant les objets de première nécessité.

Joseph marche à côté en tenant la bride.

« Tu es fatiguée ? » lui demande-t-il de temps à autre.

Marie le regarde en souriant et répond :

« Non. »

A la troi­sième fois, elle ajoute :

« Ce serait plutôt à toi d’être fatigué, puisque tu marches.

– Oh, moi ! Pour moi, ce n’est rien. Je pense que, si j’avais trouvé un autre âne, tu aurais pu être mieux installée et nous aurions pu aller plus vite. Mais, vraiment, je n’en ai pas trouvé. Tout le monde a besoin de montures, en ce moment. Mais courage ! Nous arriverons bientôt à Bethléem. Derrière cette mon­tagne, c’est Ephrata. »

Ils gardent le silence. Quand elle ne parle pas, la Vierge paraît se recueillir en quelque prière intérieure. Elle sourit doucement à une pensée et, bien qu’ayant la foule sous les yeux, on dirait qu’elle ne voit pas s’il s’agit d’un homme, d’une femme, d’un vieillard, d’un berger, d’un riche ou d’un pauvre, mais de ce que, elle, elle y reconnaît.

Le vent se lève.

« Tu as froid ? lui demande Joseph.

– Non, merci. »

Mais Joseph ne se fie pas à sa réponse. Il lui touche les pieds, qui pendent sur le flanc de l’âne, ses pieds chaussés de sandales et qu’on voit à peine dépasser de son long vêtement. Il doit les trouver froids, parce qu’il secoue la tête, enlève une couverture qu’il porte en bandoulière ; il en entoure les jambes de Marie et la lui étend jusque sur la poitrine, de façon à ce que ses mains soient bien au chaud sous la couverture et sous le manteau.

28.2 Ils rencontrent un berger qui leur coupe la route avec son troupeau qui passe du pâturage de droite à celui de gauche. Joseph se penche pour lui demander quelque chose. Le berger y consent. Joseph prend l’âne et lui fait suivre le troupeau dans le pâturage. Le berger tire un bol grossier d’une besace, trait une grosse brebis aux mamelles gonflées et tend le bol à Joseph, qui l’offre à Marie.

« Que Dieu vous bénisse tous deux, dit Marie, toi pour ton amour, et toi pour ta bonté. Je prierai pour toi.

– Vous venez de loin ?

– De Nazareth, répond Joseph.

– Et où allez-vous ?

– A Bethléem.

– C’est un bien long voyage pour la femme, dans son état. C’est ta femme ?

– C’est ma femme.

– Avez-vous un endroit où aller ?

– Non.

– C’est fâcheux ! Bethléem est noire de monde venu de partout pour s’inscrire ou pour aller s’inscrire ailleurs. Je ne sais où vous trouverez un logement. Tu connais l’endroit ?

– Pas bien.

– Eh bien… je te renseigne… pour elle (il désigne Marie). Cherchez l’auberge. Elle sera pleine, mais je vous l’indique pour vous donner un point de repère. Elle se trouve sur une place, la plus grande. On y va par la grand-rue, vous ne pouvez vous tromper. Il y a une fontaine devant. C’est una maison grande et basse, avec un grand portail. Elle sera comble. Mais, si vous ne trouvez de place ni là ni dans les maisons, tournez derrière l’auberge, en direction de la campagne. Il s’y trouve des abris dans la montagne, qui servent parfois aux marchands en route pour Jérusalem pour y mettre leurs animaux qui ne trouvent pas de place à l’auberge. Ce sont des étables, vous savez, dans la montagne : humides, froides et sans porte. Mais c’est toujours un refuge, parce que la femme… ne peut rester dans la rue. Peut-être y trouverez-vous de la place… et du foin pour dormir et pour l’âne. Et que Dieu vous accompagne !

– Que Dieu te comble de joie », répond Marie.

Joseph, quant à lui, répond :

« Que la paix soit avec toi ! »

28.3 Ils reprennent la route. Un plus grand vallon apparaît du haut de l’escarpement qu’ils ont franchi. Dans ce vallon, en haut et en bas des pentes qui l’encerclent, se trouvent des maisons, et encore des maisons : c’est Bethléem.

« Nous voici sur la terre de David, Marie. Tu vas pouvoir te reposer. Tu me parais si fatiguée…

– Non. Je pensais… je pense… »

Marie saisit la main de Joseph et, avec un sourire radieux, elle lui dit :

« Je pense que le moment est arrivé.

– Dieu de miséricorde ! Qu’allons-nous faire ?

– Ne crains rien, Joseph. Reste calme. Tu vois comme, moi, je suis sereine ?

– Mais tu souffres beaucoup.

– Oh non, je suis toute joyeuse. J’éprouve une telle joie, si forte, si belle, si irrésistible, que mon cœur bat à tout rompre et me dit : “ Il naît ! Il naît ! ” Il me le répète à chaque battement. C’est mon Enfant qui frappe à la porte de mon cœur et dit : “ Maman, c’est moi, je viens t’apporter le baiser de Dieu. ” Ah, quelle joie, mon Joseph ! »

Mais Joseph n’est pas à la joie. Il pense à l’urgence de trouver un lieu d’accueil et hâte le pas. Porte après porte, il demande un abri, mais rien : tout est occupé. Ils parviennent à l’auberge. Elle est pleine de gens qui bivouaquent, jusque sous les portiques rustiques qui entourent la grande cour intérieure.

Joseph laisse Marie sur son âne à l’intérieur de la cour et sort poursuivre sa recherche dans d’autres maisons. Il n’y a rien. Précoce, le crépuscule d’hiver commence à étendre son voile. Joseph supplie l’aubergiste. Il supplie des voyageurs : eux sont des hommes, qui plus est en bonne santé. Là à côté, il y a une femme qui va mettre un enfant au monde : qu’ils fassent preuve de pitié ! Mais rien.

Un riche pharisien les regarde avec un mépris visible et, quand Marie s’avance, il s’éloigne comme s’il s’était approché d’une lépreuse. Joseph le regarde et rougit d’indignation. Marie pose la main sur le poignet de Joseph pour l’apaiser :

« N’insiste pas. Partons. Dieu y pourvoira. »

28.4 Ils sortent, longent le mur de l’auberge, tournent dans une ruelle encastrée entre elle et de pauvres maisons, et passent derrière l’auberge. Ils cherchent. Voilà des espèces de grottes, de caves dirais-je, plus que des étables, tant elles sont basses et humides. Les plus belles sont déjà occupées. Joseph est découragé.

« Hé ! Galiléen ! Crie un vieil homme derrière lui. Là au fond sous cette ruine, il y a une tanière. Peut-être n’y a-t-il encore personne. »

Ils s’approchent de cette “ tanière ”. C’est réellement une tanière. Parmi les décombres de quelque bâtiment en ruine se trouve une ouverture qui donne sur une grotte, une excavation dans la montagne plus qu’une grotte, même. J’ai l’impression qu’il s’agit des fondations de l’ancienne construction, auxquelles servent de toit les matériaux soutenus par des troncs d’arbre à peine équarris.

Il y a bien peu de lumière et, pour mieux voir, Joseph prend de l’amadou et un allume-feu ; il allume une petite lampe qu’il sort de la besace qu’il tient en bandoulière. Il entre, et c’est un mugissement qui le salue.

« Viens, Marie, c’est vide. Il n’y a qu’un bœuf. » Joseph sourit. « C’est mieux que rien !… »

28.5 Marie descend de son âne et entre.

Joseph a pendu son lumignon à un clou fixé à l’un des troncs qui servent de pilier. On voit plein de toiles d’araignées sur la voûte. Le sol en terre battu, tout disloqué, avec des trous, des cailloux, des détritus et des bouses, est recouvert de brins de paille. Au fond, un bœuf se retourne et regarde de ses yeux tranquilles tandis que du foin lui pend des lèvres. Il y a un siège grossier et deux pierres dans un coin près d’une fente. Le noir de ce recoin révèle que c’est là qu’on fait du feu.

Marie s’approche du bœuf. Elle a froid. Elle pose ses mains sur son cou pour en sentir la tiédeur. Le bœuf mugit et se laisse faire. On dirait qu’il comprend. Même quand Joseph le pousse plus loin pour enlever beaucoup de foin du râtelier et faire un lit pour Marie, il reste bien paisible. En fait, le râtelier est double : il y a celui dans lequel mange le bœuf et, au-dessus, une sorte d’étagère qui sert de réserve, et c’est là que Joseph se sert. Il fait également une place pour l’âne, épuisé et affamé, qui se met aussitôt à manger.

Joseph déniche aussi un seau renversé tout cabossé. Comme, dehors, il avait remarqué un ruisseau, il sort pour revenir avec de l’eau pour l’âne. Puis il s’empare d’un fagot de branchages posé dans un coin et tente de balayer un peu le sol. Il étend ensuite le foin, en fait une couche, près du bœuf, à l’endroit le plus sec et le plus abrité. Mais il sent que ce pauvre foin est humide, et il soupire. Il allume le feu et, avec une patience de chartreux, il sèche le foin par poignées en le tenant près du feu.

Assise sur son tabouret, Marie, lasse, regarde et sourit. C’est prêt. Elle s’installe du mieux qu’elle peut sur le foin moelleux, les épaules appuyées contre un tronc. Joseph complète… “ l’ameublement ” en étendant son manteau comme une tente sur le trou qui sert d’entrée. C’est un abri très relatif ! Puis il offre du pain et du fromage à la Vierge et lui donne à boire l’eau d’une gourde.

« Dors, maintenant », lui dit-il. « Je veillerai auprès du feu pour qu’il ne s’éteigne pas. Il y a du bois, heureusement. Espérons qu’il durera et brûlera. Je pourrai économiser l’huile de la lampe. »

Obéissante, Marie s’étend. Joseph la recouvre de son manteau à elle et de la couverture qu’elle avait auparavant sur les pieds.

« Mais toi, tu vas prendre froid…

– Non, Marie, je suis près du feu. Essaie de te reposer. Demain, ça ira mieux. »

Marie ferme les yeux sans insister davantage. Joseph se rencogne de l’autre côté, sur le tabouret, avec quelques brindilles près de lui. Elles ne vont pas durer longtemps, à mon avis…

Ils sont placés de la manière suivante : Marie est à droite, les épaules face à la… “ porte ”, à moitié cachée par le tronc et le corps du bœuf, qui s’est accroupi sur sa litière. Joseph est à gauche, près de la porte, donc en diagonale ; comme il a le visage dirigé vers le feu, il tourne le dos à Marie. Il pivote donc de temps en temps pour la regarder et la voit tranquille, comme si elle dormait. Il brise doucement les branchettes et les met une à une sur le foyer pour économiser le bois sans que la flamme s’éteigne, et pour éclairer leur abri. Il ne reste plus que la lueur du feu, parfois plus vive, parfois presque morte. En effet, la petite lampe est éteinte et seule la blancheur du bœuf, du visage et des mains de Joseph se détachent sur cette pénombre. Tout le reste fait une masse qui se fond dans l’épaisseur de la nuit.

Enseignement de Marie

28.6 « Il n’y a rien à dire de plus », dit Marie. « La vision parle d’elle-même. C’est à vous qu’il revient d’en tirer la leçon de charité, d’humilité et de pureté qui en découle. Repose-toi. Repose-toi en veillant, comme je veillais en attendant Jésus. Il viendra t’apporter sa paix. »