La salutation de l'ange selon saint Bernard (1090-1153)

Lc 1, 28 : La salutation de l'ange Gabriel

"L'ange entra" (Lc 1, 28)

L'ange entré chez elle - chez Marie, sans aucun doute - lui dit: "Je te salue, ô pleine de grâce, le Seigneur est avec toi!".

Entré chez elle, mais où donc? Ce fut, je pense, dans le secret de sa modeste chambrette où, porte close, elle devait se tenir pour prier son Père.

Les anges ont coutume de se tenir auprès de ceux qui prient et affectionnent la compagnie de ceux qu'ils voient lever vers le ciel des mains pures, et c'est une joie pour eux d'offrir à Dieu en suave odeur l'holocauste de leur ferveur.

Quant à Marie de quel prix devaient être ses prières aux yeux du Très-Haut, l'ange le fit bien connaître en la saluant dès son entrée avec tant de respect.

"Pleine de grâce" (Lc 1, 28)

Une fois entré chez elle, l'ange dit: "Je te salue, ô pleine de grâce!"

Nous lisons dans les Actes des Apôtres (6, 5) que saint Étienne fut, lui aussi, plein de grâce, que les Apôtres furent, eux aussi, remplis du Saint-Esprit, mais quelle différence d'avec Marie ! En Etienne la plénitude de la divinité n'a pas habité corporellement comme en Marie, et les Apôtres n'ont pas comme Marie conçu du Saint-Esprit.

"Le Seigneur est avec toi" (Lc 1, 28)

"Je te salue, ô pleine de grâce", dit l'ange, "le Seigneur est avec toi". [...]

Dieu fut-il plus rapide que l'ange ? Et malgré la hâte de son messager, l'a-t-il devancé, pour être arrivé avant lui?

Rien là d'étonnant: pendant que le Roi se reposait, le nard de la Vierge exhalait son parfum (Cant 1, 12), et les aromatiques senteurs s'élevaient en présence de sa glorieuse majesté (Ap 8, 4), et Marie trouva grâce aux yeux du Seigneur.

Et les anges tout autour s'écriaient: "Quelle est celle qui monte à travers le désert, semblable à une colonne de fumée aux aromates de myrrhe et d'encens ?" (Cant 3, 6)

Et aussitôt le roi, quittant son lieu saint, bondit joyeux comme un géant au moment de se lancer sur la route (Ps 18, 6) et bien qu'il prît son départ du plus haut des cieux, volant sur les ailes du désir, il devança son messager auprès de la Vierge, celle qu'il avait aimée, qu'il s'était choisie, dont la beauté l'avait captivé.

Le voyant accourir dans le lointain, l'Église s'écrie reconnaissante et joyeuse: "Le voici qui bondit sur les monts et franchit les collines" (Cant 2, 8).

Ecoute ma fille : Oublie ton peuple...

Ce n'est pas sans cause que le roi s'est laissé captiver par les charmes de la Vierge, car elle avait mis en pratique tous les conseils que depuis longtemps David, son père, lui avait donnés :

"Ecoute, ma fille, regarde et tends l'oreille: oublie ton peuple et la maison de ton père : et quand tu auras fait cela le roi sera épris de ta beauté" (Ps 44, 11.12).

Elle tendit l'oreille pour obéir, elle ouvrit son cœur aux enseignements: elle oublia son peuple et la maison de son père, car elle n'eut pas plus souci d'accroître son peuple en se donnant une postérité que de laisser un héritier à la maison de son père; toute la gloire qu'elle était en droit d'attendre de son peuple et toutes les richesses qui pouvaient lui revenir de sa famille, elle a tout méprisé comme de l'ordure afin de gagner le Christ. [...]

Présence de Dieu Trinité avec Marie

Dieu est présent dans les créatures sans raison, mais n'est pas saisi par elles, tandis que tous les êtres doués de raison peuvent saisir Dieu par la connaissance. Mais seuls les bons peuvent en outre le posséder par l'amour. [...]

Si Dieu est ainsi avec tous les saints, il est pourtant de façon particulière avec Marie, puisque entre elle et lui la conformité de volonté fut si grande que non seulement Dieu fit siennes la volonté de la Vierge, mais même sa chair. [...]

C'est pourquoi l'ange dit: "Je te salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi" (Lc 1, 28). Avec toi, non seulement le Seigneur Dieu le Fils que tu revêts de ta chair, mais encore le Seigneur Esprit Saint de qui tu conçois et le Seigneur Dieu le Père qui a engendré celui que tu conçois.


Saint Bernard († 1153),

Extraits de la 3° homélie Super missus est, § 1-4,

dans Ecrits sur la Vierge Marie, Mediaspaul, Paris 1995, p. 74-78