Immaculée (Bernanos)

Immaculée (Bernanos)

Bernanos, dans son roman « Journal d'un curé de campagne », dit le dogme de l'immaculée conception avec plusieurs expressions qui s'équilibrent et se complètent :

Elle est « plus jeune que le péché, plus jeune que la race dont elle est issue », c'est le privilège de son Immaculée conception.

Mais ce privilège n'annule pas la longue histoire du salut, la patiente croissance des siècles : elle est « la fille du genre humain », bercée par l'ancien monde, par « ses mains chargées de crimes ».

C'est pourquoi, réellement, son innocence dépasse l'ignorance de l'enfant.

« Elle est notre mère, c'est entendu. Elle est la mère du genre humain, la nouvelle Eve. Mais elle est aussi sa fille.

L'ancien monde, le douloureux monde, le monde d'avant la grâce l'a bercée longtemps sur son cœur désolé -des siècles et des siècles- dans l'attente obscure, incompréhensible d'une "virgo genitrix"...

Des siècles et des siècles, il a protégé de ses vieilles mains chargées de crimes, ses lourdes mains, la petite fille merveilleuse dont il ne savait même pas le nom.

Une petite fille, cette reine des anges! Et elle l'est restée, ne l'oublie pas!... »[1]

« Notre pauvre espèce ne vaut pas cher, mais l'enfance émeut toujours ses entrailles, l'ignorance des petits lui fait baisser les yeux - ses yeux qui savent le bien et le mal, ses yeux qui ont vu tant de choses ! Mais ce n'est que l'ignorance, après tout.

La Vierge était l'innocence. [...]

Oui, mon petit, pour la bien prier, il faut sentir sur soi ce regard qui n'est pas tout à fait celui de l'indulgence - car l'indulgence ne va pas sans quelque expérience amère - mais de la tendre compassion, de la surprise douloureuse, d'on ne sait quel sentiment encore, inconcevable, inexprimable, qui la fait plus jeune que le péché, plus jeune que la race dont elle est issue et, bien que Mère par la grâce, Mère des grâces, la cadette du genre humain. »[2]


[1] Georges BERNANOS, Journal d'un curé de campagne (Plon 1936), éditions « Le livre de poche », Paris, 1966, p. 180

[2] Ibid., p. 182


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Extraits et introduction par Françoise Breynaert