L'Histoire d'une âme est une très belle histoire d'amour, d'un très grand amour qui a rempli une vie simple et brève, sans aucun événement extraordinaire: Le plus grand amour dans la plus grande simplicité (n. 35-37). Le mot Amour et le verbe aimer sont les plus fréquents dans tous ses écrits. Pour elle, l'Amour est véritablement la valeur absolue, et cet absolu de l'Amour est exprimé dans des expressions simples et belles qu'il convient de citer.
Pour elle, vivre, c'est "vivre d'amour" (PN 17), et lorsqu'elle affirme: "Ma vocation c'est l'Amour" (Ms B, 3v), elle est convaincue que c'est la grande vocation de tous, spécialement de ces plus pauvres et plus petits dont elle-même fait partie, selon ses propres paroles: « Ah ! Si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes (...), pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la montagne de l’amour" (Ms B, 1v, cité au n. 21 de l'Exhortation Apostolique).
C'est la vocation universelle à la sainteté comme plénitude de l'amour dans le cœur humain, perfection de la charité selon le Concile Vatican II (Lumen Gentium, ch V), de cet amour pleinement divin et pleinement humain. Le Pape François se réfère à sa précédente Exhortation Apostolique Gaudete et exsultate, sur l'appel à la sainteté dans le monde actuel. Pour saint Paul, cet Amour est la plus grande et la plus précieuse réalité, plus grande que la foi et l'espérance (cf I Cor 13). Thérèse, faisant l'expérience de cet Amour Absolu et immortel, peut s'écrier: " Je compris que l’Amour renfermait toutes les Vocations, que l’Amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux... en un mot, qu’il est éternel! (...) Ma
vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour (...). Je serai l’Amour, ainsi je serai tout" (Ms B, 3v, cité au n. 39).
Cet Amour total et totalisant remplit le cœur de Thérèse en la rendant capable d'aimer de tout son cœur dans toutes les dimensions les plus profondes de son être de femme, comme épouse et mère, enfant et sœur. Ce sont les fondamentales relations d'amour qu'elle exprime symboliquement comme les "quatre cordes" de son cœur, comparé à une lyre (PN 48). Ce même amour qu'elle vit dans la virginité, ses saints parents Louis et Zélie l'ont vécu dans le mariage. En racontant son enfance dans l'Histoire d'une âme, Thérèse montre la beauté d'une famille unie dans l'amour.
Elle affirme encore que "le propre de l'Amour est de s'abaisser" (Ms A, 2v), définissant ainsi une des caractéristiques essentielles du vrai Amour qui est l'humilité, la petitesse comme chemin de la vraie grandeur. L'inépuisable symbolique des fleurs, que Thérèse applique à elle-même et à tous les hommes, exprime à la fois la beauté et la fragilité de notre humanité. C'est au cœur même de cette fragilité pleinement acceptée que le plus grand Amour peut être vécu dans les plus petites choses de la vie quotidienne. Pour Thérèse, l'humble service d'une sœur malade et difficile devient le lieu d'une expérience intense de lumière et de joie (Ms C, 29v-30r), cité au n. 37).
Ainsi, selon le Pape François, "Thérèse vit la charité dans la petitesse, dans les choses les plus simples de la vie quotidienne, et elle le fait en compagnie de la Vierge Marie, en apprenant d’elle qu’« aimer c’est tout donner et se donner soi-même »(PN 54, str 22)" (n. 36). C'est là sans doute une des plus belles définitions de l'Amour, du vrai Amour qui est don total de soi-même, et non pas un simple sentiment. Un tel don est décentrement de soi, dépassement de l'individualisme et de l'égocentrisme; il est la grâce qui nous libère de l'autoréférentialité (n. 12).
A la fin de l'Histoire d'une âme, Thérèse partage avec tous ses lecteurs son Offrande à l'Amour Miséricordieux, comme la parfaite expression de ce don total de soi-même. En s'offrant tout entière au Feu de l'Amour, elle expérimente de recevoir en elle même la surabondante Eau vive du même amour: "les fleuves, ou plutôt les océans de grâce qui sont venus inonder mon âme" (Ms A, 84r). Selon le Pape François, "C’est la vie mystique qui, même dépourvue de phénomènes extraordinaires, est proposée à tous les fidèles comme une expérience quotidienne d’amour" (n. 35).
Pour celle qui s'appelle sœur Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face, cet Amour a un visage et il a un Nom: C'est Jésus! Avec le mot Amour et le verbe aimer, le Nom de Jésus est le plus fréquent dans tous ses écrits (deux fois plus que le Nom de Dieu). "Thérèse a pu définir sa mission en ces termes: "Je désirerai au Ciel la même chose que sur la terre: Aimer Jésus et le faire aimer" (LT 220) (n. 9).
Patronne des missions, Thérèse enseigne à l'Eglise de notre temps la vraie spiritualité de la mission dans un total respect de la liberté religieuse et dans les plus vastes perspectives du dialogue avec les autres religions et avec les non-croyants. Cet aspect important de son message est encore souligné par le Pape François: "Les dernières pages de l’Histoire d’une âme sont un testament missionnaire. Elles expriment sa manière de concevoir l’évangélisation par attraction, et non par pression ou prosélytisme" (n. 10). Thérèse commente alors un verset biblique, les paroles que l'épouse adresse à son Epoux dans le Cantique des Cantiques: "Attirez-moi, nous courrons à l'odeur de vos parfums" (Ct 1, 3-4). Elle demande à Jésus de l'attirer personnellement pour attirer les autres vers Lui à travers elle.
Pour conclure, je voudrais citer les paroles du Pape François à la fin de ce beau document:
"En un temps qui nous invite à nous enfermer dans nos intérêts particuliers, Thérèse nous montre qu’il est beau de faire de la vie un don. (...)
En un temps d’individualisme, elle nous fait découvrir la valeur de l’amour qui devient intercession.
À un moment où l’être humain est obsédé par la grandeur et par de nouvelles formes de pouvoir, elle montre le chemin de la petitesse.
En un temps où de nombreux êtres humains sont rejetés, elle nous enseigne la beauté d’être attentif, de prendre soin de l’autre.
À un moment de complexité, elle peut nous aider à redécouvrir la simplicité, la primauté absolue de l’amour, la confiance et l’abandon, en dépassant une logique légaliste et moralisante qui remplit la vie chrétienne d’observances et de préceptes et fige la joie de l’Évangile.
En un temps de replis et d’enfermements, Thérèse nous invite à une sortie missionnaire, conquis par l’attrait de Jésus Christ et de l’Évangile" (n. 52
Père François-Marie Lethel, ocd.
-sur l’Exhortation apostolique sur sainte Thérèse de Lisieux C’est la confiance (pape François), en ligne
