Clovis

Clovis

Le jeune Clovis encouragé par saint Rémi

« Childéric, ce chef barbare païen dont la capitale était Tournai, s'était mis au service du romain Aégidius. La découverte de son tombeau en 1653 a montré qu'il était considéré comme un véritable roi au service de Rome. Il en sera de même pour son fils Clovis.

Clovis a quinze ans lorsqu'il devient roi. Il se fait bientôt remarquer par une brillante victoire sur Syagrius qui représentait le pouvoir romain. Or dès cette époque le métropolitain de Reims, saint Remi, entre en relation avec Clovis en lui envoyant une lettre dont il faut citer quelques lignes :

«Une grande rumeur est arrivée à nous ; on dit que vous venez de prendre en main l'administration de la deuxième Belgique. Ce n'est pas une nouveauté que vous commenciez à être ce qu'ont toujours été vos parents. Il faut veiller tout d'abord à ce que le jugement du Seigneur ne vous abandonne pas, et à ce que votre mérite se maintienne au sommet où l'a porté votre humilité ; car, selon le proverbe, les actes des hommes se jugent à leur fin. Vous devez vous entourer de conseillers qui puissent vous faire honneur. Pratiquez le bien : soyez chaste et honnête. Montrez-vous plein de déférence pour vos évêques, et recourez toujours à leurs avis... Relevez les affligés, protégez les veuves, nourrissez les orphelins, faites que tout le monde vous aime et vous craigne... Avec ce que votre père vous a légué de richesses, rachetez des captifs et délivrez-les du joug de la servitude. »

Cette lettre, adressée à un prince païen est assez étonnante, l'archevêque Remi se sent assez fort pour donner des conseils au jeune homme. Peut-être espère-t-il déjà qu'il se montrera favorable au christianisme. D'ailleurs le fameux épisode du vase de Soissons le prouve puisque Clovis voulait rendre à l'Eglise un vase liturgique qui avait été pris par un guerrier. »

Pierre Riché, Université de Paris X,

« La christianisation de la Gaule aux V° et VI° siècle,

dans Connaissance des Pères de l'Eglise n° 61, mars 1996, p. 10

Clovis, du petit royaume de Tournai au Dieu de Clotilde

Clovis, fils de Childéric, régnait sur le petit royaume de Tournai, le royaume salien ayant été partagé après la mort de Mérovée ou de Clodion.

Clovis croyait aux dieux des anciens Germains : Wotan, dieu des batailles, Thor, le génie de la guerre armé d'un marteau, Thunar, le dieu du tonnerre, Frea, l'épouse de Wotan et la mère de tous les demi-dieux personnifiant les forces de la nature, nains ou géants. Il croyait aux devins et aux sorciers. Il croyait aussi à lui-même, puisqu'il avait une origine divine.

Les Alamans étaient une confédération de tribus germaniques ; ils menaçaient la Champagne. Cependant les plus exposés à leurs incursions étaient les Ripuaires. Ces derniers avaient pour capitale Cologne, et pour roi Sigebert. En 496, le roi Sigebert dut apparemment faire front à une véritable invasion. Afin de protéger Cologne, il organisa la résistance autour de l'ancien camp romain de Zülpich, appelé Tolbiac par un historien du XVI° siècle. Sigebert fut blessé au cours de la bataille et resta boiteux. Il avait appelé le roi des Francs à l'aide. Clovis accourut avec son armée, ce qui montre qu'il existait une alliance entre les deux peuples. Le choc décisif se produisit sur les rives du Rhin, dans un endroit indéterminé, mais qui pourrait être à nouveau Zülpich en raison de sa position stratégique. Les soldats de Clovis plièrent soudain. Ce que voyant, Clovis invoqua soudain le Dieu de Clotilde.

Grégoire, évêque de Tours prête à Clovis un long discours : « Ô Jésus-Christ, que Clotilde proclame fils du Dieu vivant, toi qui, dit-on, donnes une aide à ceux qui peinent et qui attribues la victoire à ceux qui espèrent en toi, je demande pieusement la gloire de ton assistance... »* Et la tradition populaire lui attribue ces simples paroles : « Dieu de Clotilde, viens à mon secours ! »

Les Alamans fléchirent brusquement et commencèrent à reculer. Leur roi-chef de guerre venait d'être tué. Le massacre commença, mais les Alamans demandèrent grâce. Clovis la leur accorda et arrêta la tuerie. En 507, lors de la campagne décisive contre les Wisigoths, l'armée des Ripuaires sera à ses côtés... »

Extraits de Georges Bordonove,

Clovis et les Mérovingiens, Pygmalion Paris 1988, p. 61 à 92

*Grégoire de Tour écrivit l'Histoire des Francs de 576 à 591 en démontrant la supériorité de l'orthodoxie sur le paganisme.

Le baptême de Clovis (25 décembre 496)

[Le texte ci-dessous est fondé sur des documents historiques fiables : la Lettre de saint Avit à Clovis nous apprend que Clovis a été baptisé à Noël, et l'histoire des Francs par saint Grégoire de Tour (datée de 576), précise qu'il est baptisé à Reims par saint Rémi, après la bataille contre les Alamans]

Il ne restait plus qu'à donner à la conversion de Clovis le sceau du baptême. C'était le vœu le plus cher de Clotilde et de Remi, et Clovis lui-même était pressé de s'acquitter d'une promesse faite à la face du ciel. Mais une démarche de ce genre n'était pas sans difficulté. Le peuple franc vénérait dans Clovis non seulement le fils de ses rois, mais le descendant de ses dieux. Quand il marchait à la tête de son armée, secouant sur ses épaules les boucles blondes de sa chevelure royale, une auréole divine semblait rayonner autour de sa tête. En brisant la chaîne sacrée qui rattachait sa généalogie au ciel, ne devait-il pas craindre que son autorité fût ébranlée par la diminution qui atteindrait son origine, le jour où il n'aurait plus d'autre titre à régner que ses qualités personnelles (1)?

Un autre obstacle semble avoir fait plus longuement réfléchir Clovis. Clovis ne pouvait pas se faire chrétien sans ses hommes, et s'il se convertissait, il fallait qu'ils abjurassent avec lui. Sinon, la bande se dissolvait, et le roi, qui avait abandonné la tradition nationale, se voyait abandonné lui-même par ceux qui voulaient y rester fidèles. Clovis eut à peine besoin d'adresser la parole aux siens ; d'une seule voix ils s'écrièrent qu'ils consentaient à abandonner leurs dieux mortels, et qu'ils voulaient prendre pour maître le Dieu éternel que prêchait Remi et l'on comprend que le narrateur ait vu dans ces dispositions le résultat d'une intervention providentielle (2). Pour le reste de l'armée franque, elle n'eut pas à se prononcer, et la conversion du roi n'avait pour elle qu'un intérêt général.

De concert, sans doute, avec le roi des Francs, saint Remi veilla à ce que la fête eût tout l'éclat religieux et profane qu'elle comportait. Tout ce qu'il y avait de personnages éminents dans le royaume y fut convié, et les invitations allèrent même chercher les princes de l'Église au delà des frontières (3)... De sérieuses préoccupations durent visiter les hommes d'État de l'arianisme, en particulier dans les cours de Toulouse et de Ravenne. Au milieu de l'allégresse des uns et de l'inquiétude des autres, se leva enfin le grand jour qui devait faire de la nation franque la fille aînée de l'Église catholique. Ce fut le 25 décembre 496, jour de la fête de Noël... Les parfums, dit le vieux chroniqueur, avaient quelque chose de céleste, et les personnes à qui Dieu avait fait la grâce d'être témoins de ces splendeurs purent se croire transportées au milieu des délices du paradis (4).


(1) S. Avit, Lettre 46 [Saint Avit est alors l'évêque de Vienne, sur le Rhône : évêque catholique dans une région dominée par les Wisigoths qui sont ariens, il se réjouit du baptême de Clovis.]

(2) Grégoire de Tours, II, 31.

(3) S. Avit, Lettre 46

(4) Grégoire de Tours, Histoire des Francs II, 31.

Extraits de : https://www.mediterranee-antique.fr/Auteurs/Fichiers/JKL/Kurth/Clovis/Clovis_36.htm

NB : Autour de l'année 336, l'institution à Rome de la fête de Noël traduit liturgiquement le concile de Nicée et sa réponse à l'arianisme. La célébration de Noël permet de vénérer le mystère de l'Incarnation et de mieux le comprendre , lire plus...

Clovis encouragé par saint Avit

« Saint Avit, évêque de Vienne (donc en territoire arien), n'avait pu assister au baptême de Clovis à Reims. Il envoya à Clovis une lettre d'excuses et de félicitations :

« Votre foi, c'est notre victoire à nous. [...] Beaucoup d'autres, quand les pontifes de leur entourage les sollicitent d'adhérer à la vraie doctrine, aiment à objecter les traditions de leur race et le respect pour le culte des ancêtres. [...] De toute votre antique généalogie vous n'avez rien voulu garder que votre noblesse [...]. Vos aïeux vous ont préparé de grandes destinées : vous avez voulu en préparer de plus grandes à ceux qui viendront après vous.
L'Orient peut se réjouir d'avoir élu un empereur qui partage notre foi ; il ne sera plus seul désormais à jouir d'une telle faveur. L'Occident, grâce à vous brille aussi d'un éclat propre, et voit un de ses souverains resplendir d'une lumière nouvelle. C'est bien à propos que cette lumière ait commencé à la nativité de notre Rédempteur : ainsi les eaux régénératrices vous ont fait naître au salut le jour même où le monde a vu naître pour le racheter le Seigneur du Ciel. Ce jour est pour nous comme pour le Seigneur un anniversaire de naissance. [...]

Que dire de la glorieuse solennité de votre régénération ? Je n'ai pu y assister de corps, mais j'ai participé de cœur à vos joies. [...] Nous voyions, avec les yeux de l'esprit, ce grand spectacle : une multitude de pontifes réunis autour de vous et, dans l'ardeur de leur saint ministère, versant sur vos membres royaux les eaux de la résurrection. [...]
Il me reste un vœu à exprimer. Puisque Dieu, grâce à vous, va faire de votre peuple tout à fait le sien, eh bien : offrez une part du trésor de foi qui remplit votre cœur à ces peuples assis au-delà de vous et qui vivant dans leur ignorance naturelle, n'ont pas encore été corrompus par les doctrines perverses : ne craignez pas de leur envoyer des ambassades, ni de plaider auprès d'eux la cause de Dieu qui a tant fait pour la vôtre.» (S. Avit, Lettre 46).

II est évident que le baptême de Clovis fut l'acte majeur de son règne. Il détermina en grande partie la christianisation non seulement de la Gaule mais de l'Europe. Il assura à l'Eglise la prééminence religieuse, et son triomphe sur l'arianisme. Par voie de conséquence, il sauva l'essentiel de la civilisation latine. Quant aux Francs de son armée et à leurs familles, leur conversion fut progressive. Il y fallut des décennies, car Clovis et ses fils se gardèrent bien de les persécuter.

Extraits de : Georges Bordonove, Clovis et les Mérovingiens, Pygmalion Paris 1988, p. 100-102