Rue du Bac. ‘Les temps sont très mauvais’ : 1830 et au-delà

‘Les temps sont très mauvais’ : 1830 et au-delà

A 24 ans, alors qu'elle est entrée depuis à peine trois mois chez les sœurs de la charité, Catherine Labouré se laisse guider à 11heure et demie du soir par un mystérieux enfant vers la chapelle. La Vierge l'y attend... « Là, il s'est passé un moment, le plus doux de ma vie. Il me serait impossible de dire ce que j'éprouvais. ». Le cœur plein d'amour de la Vierge Marie se révèle. Le cœur immaculé de Marie, cœur compatissant et puissant, coeur étroitement uni au cœur eucharistique de Jésus...

Cette première apparition de Marie, dans la nuit du 18 au 19 juillet 1830, va durer jusqu'à deux heures du matin.

La Viergesigne de la main l'autel où repose le tabernacle et dit:

« Les temps sont très mauvais, des malheurs vont fondre sur la France : le trône sera renversé, le monde entier sera renversé par des malheurs de toutes sortes.

Mais venez au pied de cet autel, là les grâces seront répandues sur toutes les personnes qui les demanderont avec confiance et ferveur. Elles seront répandues sur les grands et les petits... »

« Le trône sera renversé ».[1]

Le message de l'apparition comporte une prédiction qui s'est réalisée rapidement : « le trône sera renversé ».

Et cela fut une surprise. En effet, le 5 juillet 1830 a lieu la prise d'Alger qui redonne du lustre à la royauté. Puis, les seules journées du 27, 28, 29 juillet 1830, appelées les trois glorieuses, suffisent pour que le Parlement destitue Charles X et lui substitue le duc d'Orléans (Louis-Philippe 1°). Une insurrection populaire se manifeste par des luttes sanglantes, et la tension anticléricale pousse Louis-Philippe à stipuler que « le catholicisme cesse d'être religion d'Etat ». Le christianisme est jugé dépassé tout comme la monarchie renversée.

« Le monde entier ».[1]

Le message de l'apparition ne semble pas pouvoir se limiter au contexte de 1830. En effet, on ne peut pas dire qu'à cette époque « le monde entier » soit « renversé par des malheurs de toutes sortes ». Il faut donc conclure que l'apparition ait en vue une perspective plus large.

Certains auteurs font alors le lien entre cette apparition et d'autres apparitions ultérieures qui évoquent des avertissements similaires et exhortent aussi à la prière[2].

« Les temps sont très mauvais ». [1]

Au XIX° siècle, l'essor de la science produit une industrialisation mais les conditions de travail des ouvriers sont très éprouvantes pour un salaire de misère, les obligeant à mener de nombreuses luttes pour obtenir une législation meilleure.

Une fermentation culturelle rêve d'une religion des temps nouveaux. Georges Sand, Victor Hugo[3], Emile Zola voient également poindre l'avènement d'une foi nouvelle. Auguste Comte ira jusqu'à instaurer « la religion de l'humanité ».

Le spiritisme se développe, avec en France Allan Kardec (1804-1869). Dans un siècle où le champ du possible ne cesse de s'étendre, le dialogue avec l'Au-delà n'était-il pas un élargissement de plus ?

Satan est réhabilité par une contre-culture proche du milieu romantique, par exemple par Matthew Gregroy Lewis (†1818), Lord Byron (†1824)...

La réfutation de l'existence de Dieu trouve ses lettres de noblesses avec Engels, Hegel, Feuerbach, Schopenhauer, Karl Marx (1818-1883), et Nietzche (1844-1900) qui a entrevu les ombres terrifiantes du nihilisme : Nietzche promet la venue d'un âge tragique avec une longue suite de démolitions, de destructions et de ruines.

L'Eglise réagit. En 1864, le Syllabus de Pie IX condamne les idéologies du siècle, et en 1891 l'encyclique Rerum novarum de Léon XIII renvoie dos à dos communisme et capitalisme dans leurs erreurs respectives. L'Eglise et alors jugée dépassée...

Le siècle suivant se chargera pourtant de démontrer le bien-fondé de la plupart de ces dénonciations. Le nationalisme, le scientisme et le communisme amèneront chacun leur cortège de folie et de drames.

Parce qu'elle est régulièrement taxée d'obscurantisme, on comprend que l'Eglise manifeste alors une grande défiance envers tout ce qui ressemble à un miracle ou à une expérience mystique, ce qui explique l'attitude glaciale du confesseur de la voyante de la Rue du Bac, et le fait que l'identité de Catherine Labouré ne sera connue que d'un très petit nombre de personnes jusqu'à sa mort en 1876.


[1] Cf. ciel+ouvert>Patrick SANDRIN, A ciel ouvert, EDB, Nouan 2013, p. 29-32 et p.58-68

[2] C'est le cas par exemple de Patrick Sandrin. Au plan de la méthode, les rapprochements d'une apparition à l'autre induisent des interprétations globales et appellent donc beaucoup de prudence.

[3] Par exemple : Victor Hugo, Les Quatre .

Synthèse F. Breynaert