395 - Les adieux à la mère de Judas (samedi 21 avril 29)

Evangiles

Pas de correspondance

Date

Samedi 21 avril 29

Lieu : 

Kérioth

 

 

Vision de Maria Valtorta :

395.1 « Seigneur, tu ne viendrais pas avec moi, avec moi seule, chez une mère malheureuse ? C’est ce que je désire plus que tout » dit Marie, femme de Simon.

Elle se tient respectueusement en face de Jésus, tandis qu’après le repas de midi les apôtres se sont dispersés pour se reposer, avant de reprendre la route dans la soirée. Jésus, de son côté, est à l’ombre des pommiers chargés de fruits verts qui commencent à mûrir. Il semble que Marie reprenne une conversation déjà commencée.

« Oui, femme. Je désire moi aussi rester avec toi, seuls en ces dernières heures, comme je l’ai été dans les premières. Allons-y. »

Ils rentrent dans la maison, Jésus pour y chercher son manteau, et Marie le sien ainsi que son voile.

Ils prennent des chemins à travers les prés, parmi les pommiers et d’autres arbres de haute futaie. Il fait encore chaud. Des souffles brûlants proviennent des champs de moissons arrivés à maturité. Mais le vent de la montagne tempère la chaleur qui, en plaine, serait insupportable.

« Je suis désolée de te faire marcher par cette canicule. Mais plus tard… nous ne pourrions plus. Et j’ai tant désiré cette faveur, sans jamais oser te la demander. Tout à l’heure, tu m’as dit : “ Marie, pour te montrer que je t’aime comme si tu étais pour moi une mère, je te propose de me demander ce que tu désires, et je te satisferai. ” J’ai donc osé. 395.2 Seigneur, sais-tu où nous nous rendons ?

– Non, femme.

– Nous allons chez celle qui devait être la belle-mère de Judas… » Marie soupire douloureusement. « Elle le devait… Elle ne l’est pas et ne le sera jamais, car Judas a abandonné la jeune fille, qui en est morte de chagrin… Sa mère éprouve du ressentiment contre mon fils et moi. Elle ne cesse de nous maudire… Judas est tellement… tellement faible devant le mal, qu’il n’a besoin que de bénédictions !… Je voudrais que tu lui parles… Tu peux la convaincre… lui dire que cela a été une grâce que ces noces n’aient pas eu lieu… lui faire savoir que je n’y suis pour rien… lui conseiller de mourir sans rancœur — car elle dépérit lentement, l’âme étranglée. Je voudrais que la paix s’établisse entre nous… car moi, j’en ai souffert, je suis honteuse de ce qui est arrivé, et c’est avec douleur que je vois déchirée une amitié avec une femme qui était pour moi une compagne depuis que je suis arrivée ici comme épouse. En somme tu sais, Seigneur…

– Oui, n’aie pas d’inquiétude. Ta demande est juste, et je me charge de cette bonne démarche. »

Après avoir franchi une petite vallée, ils montent sur une autre hauteur sur laquelle se trouve un village.

« Anne réside ici depuis la mort de sa fille, dans sa propriété. Auparavant, elle était à Kérioth. Mais tant qu’elle y vivait et qu’on s’y rencontrait, ses reproches me déchiraient l’âme. »

395.3 Ils tournent sur un sentier peu avant le village et arrivent à une maison basse au milieu des champs.

« Voilà ! Oh ! mon cœur frémit maintenant que je suis ici ! Elle ne voudra pas me voir… elle va me chasser… elle sera fâchée, et son pauvre cœur souffrira davantage… Maître…

– Oui. J’y vais seul. Reste ici jusqu’à ce que je t’appelle. Et prie pour m’aider. »

Jésus s’avance jusqu’à la porte grande ouverte de la maison, où il entre avec sa douce salutation. Une femme accourt :

« Que veux-tu ? Qui es-tu ? »

– Je viens apporter quelque réconfort à ta maîtresse. Conduis-moi à elle.

– Un médecin ? Inutile ! Il n’y a plus d’espoir, son cœur meurt.

– Son âme aussi doit être soignée. Je suis le Rabbi.

– C’est tout aussi inutile à ce titre. Elle ne se repose pas sur l’Eternel et ne veut pas entendre de sermons. Laisse-la tranquille.

– C’est parce qu’elle est dans cet état que je suis venu. Laisse-moi passer, et elle sera moins malheureuse dans ses derniers jours. »

La femme hausse les épaules et dit :

« Entre ! »

395.4 Un couloir à demi obscur et frais, des portes… Au fond, la dernière est entrouverte, et on entend des lamentations. La femme y va et entre en disant :

« Maîtresse, il y a là un rabbi qui veut te parler.

– Pourquoi ?… Pour me dire que je suis maudite ? Que je n’aurai pas la paix même dans l’autre vie ? dit-elle, fâchée, le souffle court.

– Non. Pour t’apprendre que ta paix sera complète, pourvu que tu le veuilles, et tu seras heureuse avec ta Jeanne éternellement » dit Jésus en apparaissant sur le seuil.

Haletant sur son lit, la malade est jaune, enflée, appuyée à de nombreux oreillers. Elle le regarde et dit :

« Oh ! Quelles paroles ! C’est la première fois qu’un rabbi ne me fait pas de reproches… Quelle espérance !… Ma Jeanne… avec moi… dans la béatitude… plus de souffrance… cette souffrance causée par un maudit… que n’a pas empêchée celle qui l’a engendré… et qui m’a trahie… après m’avoir flattée… Ma pauvre fille… »

Elle halète de plus en plus fort.

« Tu vois, tu la rends malade. Je le savais bien ! Sors ! »

– Non. Va-t’en. Laisse-moi seul… »

La servante sort en hochant la tête. Jésus s’approche du lit lentement. Il essuie avec bonté la sueur de la malade, qui a du mal à le faire avec ses mains incroyablement enflées. Il l’aère avec un éventail de palmier et lui donne à boire, car elle cherche à se rafraîchir avec la boisson posée sur sa petite table. On dirait un fils près de sa mère malade. Puis il s’assied, doucement, mais fermement décidé à accomplir sa mission.

395.5 Plus calme, la femme l’observe et, avec un sourire douloureux, elle lui dit :

« Tu es beau et tu es bon. Qui es-tu, Rabbi ? Tu as la délicatesse de ma fille bien-aimée pour me soulager.

– Je suis Jésus de Nazareth !

– Toi ? ! Toi ? !… Chez moi ?… Pourquoi ?

– Parce que je t’aime. J’ai une Mère, moi aussi ; en toute mère, je vois la mienne, et dans les larmes des mères, je vois celles de ma Mère…

– Pourquoi ? Ta Mère pleure ? Pourquoi ? Elle a perdu un enfant ?

– Pas encore… Je suis son Fils unique et je vis toujours. Mais elle pleure déjà parce qu’elle sait que je dois mourir.

– Ah ! la malheureuse ! Savoir à l’avance qu’un enfant va mourir ! Mais comment le sait-elle ? Tu es en bonne santé. Tu es fort. Tu es bon. Moi, je me suis fait des illusions jusqu’à sa mort, or elle était si malade… Comment ta Mère peut-elle savoir que tu dois mourir ?

– Parce que je suis le Fils de l’Homme, prédit par les prophètes. Je suis l’Homme des douleurs qu’a vu Isaïe, le Messie chanté par David et dont les tortures de Rédempteur sont décrites. Je suis le Sauveur, le Rédempteur, femme. Et une horrible mort m’attend… Ma Mère y assistera… Et elle sait, depuis le moment où je suis né, que son cœur sera ouvert comme le mien par la douleur… Ne pleure pas… Par ma mort j’ouvrirai à ta Jeanne les portes du Paradis…

– A moi aussi ! A moi aussi !

– Oui. En son temps. Mais tu dois d’abord apprendre à aimer et à supporter. A revenir à l’amour, à être juste, et à pardonner… Autrement, tu ne pourras pas aller au Ciel, avec Jeanne, avec moi… »

Angoissée, la femme pleure. Elle gémit :

« Aimer… Aimer quand les hommes nous ont appris à haïr… quand Dieu a cessé de nous aimer en manquant de pitié envers nous, c’est difficile… Comment aimer lorsque les hommes nous ont torturées, les amies blessées, et que Dieu nous a abandonnées ?…

– Non. Pas abandonnées. Moi, je suis ici, pour t’annoncer les promesses célestes, et pour te donner l’assurance que ta douleur finira en joie, pourvu que tu le veuilles. 395.6 Anne, écoute-moi… Tu pleures à cause de l’annulation des noces, tu en fais la cause de toute ta douleur, tu accuses d’assassinat un homme pour cette raison et de complicité sa malheureuse mère. Ecoute, Anne : il ne se passera que peu de mois pour que tu voies que ce fut une grâce du Ciel que Jeanne n’ait pas été l’épouse de Judas…

– Ne me parle pas de lui ! s’écrie la femme.

– Si : pour te dire que tu dois remercier le Seigneur et que tu le feras dans quelques mois…

– Je serai bientôt morte…

– Non. Tu seras vivante. Tu te souviendras de moi, et tu comprendras alors qu’il y a des douleurs plus grandes que la tienne…

– Plus grandes ? Ce n’est pas possible !

– Alors que sera celle de ma Mère qui me verra mourir en croix ? »

Jésus s’est levé. Il est imposant.

« Et celle de la mère de celui qui trahira Jésus Christ, le Fils de Dieu ? Pense, femme, à cette mère… Toi… Kérioth tout entière, les campagnes et même au-delà ont eu compassion de ta douleur ! Tu as pu t’en glorifier comme d’une couronne de martyre. Mais cette mère ! Comme Caïn sans être Caïn, mais Abel — la victime de son fils traître, meurtrier de Dieu, sacrilège, maudit —, elle ne pourra supporter un regard d’homme, car tout regard sera comme une pierre pour la lapider, et en toute voix, en toute parole, il lui semblera entendre une malédiction, une injure. Elle ne trouvera aucun refuge sur la terre, jamais, jusqu’à sa mort, jusqu’à ce que le Seigneur, qui est juste, prenne avec lui la martyre et lui fasse oublier qu’elle est la mère du meurtrier de Dieu, en lui donnant la possession de Dieu… La souffrance de cette mère n’est-elle pas plus grande ?

– Ah ! quelle immense douleur !

– Tu vois… Sois bonne, Anne. Reconnais que la manière d’agir de Dieu a montré combien il est bon…

– Mais ma fille est morte ! Judas a causé sa mort pour chercher une plus grosse dot… Sa mère l’a approuvé.

– Non, ce n’est pas cela. C’est moi qui te l’affirme, moi qui vois dans les cœurs. Judas — c’est mon apôtre, mais je le dis — a mal agi et en sera puni. Mais sa mère est innocente. Elle t’aime, et elle voudrait que tu l’aimes en retour… Anne, vous êtes deux mères malheureuses. Mais si toi, tu te glorifies de ta fille morte, innocente, pure, que le monde célèbre avec honneur, Marie, femme de Simon, ne peut pas se glorifier de son fils. Ses actes sont blâmés par les hommes.

– C’est vrai. Mais s’il avait épousé Jeanne, ce ne serait pas le cas.

– D’ici peu, tu aurais vu Jeanne mourir de chagrin, car Judas périra de mort violente.

– Que dis-tu ? Oh ! malheureuse Marie ! Quand ? Comment ? Où ?

– Bientôt. Et d’une manière horrible… 395.7 Anne ! Anne ! Tu es bonne ! Tu es mère ! Tu sais ce qu’est la douleur d’une mère ! Anne, redeviens l’amie de Marie ! Que la souffrance vous unisse comme la joie devait vous lier. Permets-moi de partir heureux de savoir qu’elle aura une amie, une seule, une au moins…

– Seigneur… l’aimer… cela veut dire lui pardonner… C’est très pénible… Il me semble ensevelir de nouveau ma fille, la tuer, moi aussi…

– Ce sont des pensées qui viennent des Ténèbres ! Ne leur prête pas attention. Ecoute-moi, moi qui suis la Lumière du monde. La Lumière te dit que le sort de Jeanne mourant vierge a été moins amer que si elle était morte veuve de Judas. Crois-moi, Anne. Et pense que Marie, femme de Simon, est plus malheureuse que toi… »

La femme réfléchit, lutte, pleure, et dit :

« Mais je l’ai maudite, elle et le fruit de ses entrailles ! J’ai péché…

– Et moi, je t’en absous. Et plus tu l’aimeras, plus le Ciel t’absoudra.

– Et puis, si je suis son amie… je rencontrerai Judas. Seigneur, cela m’est impossible !

– Tu ne le verras plus. Moi, je ne reviendrai plus jamais à Kérioth, et Judas non plus. Nous avons déjà pris congé des habitants…

– Oh ! Tu as dit…

– Que je ne reviendrai plus. Judas a annoncé qu’il ne pourrait plus venir jusqu’après mon élévation. Mais lui croit qu’il me verra monter sur un trône ; or ce qui m’attend, au contraire, c’est la mort de la croix. Il pense devenir l’un de mes ministres. Au lieu de cela, c’est la mort qui l’attend. Quant à toi, tu n’en diras rien, jamais. Il faut que sa mère l’ignore jusqu’à ce que tout soit accompli. Tu l’as dit : “ La malheureuse ! Savoir à l’avance que son fils doit mourir. ” Mais si les souffrances de ma Mère, même pour cette raison, tendent déjà à augmenter les mérites de mon sacrifice, pour Marie, femme de Simon, garder le silence est faire preuve de pitié. Tu n’en parleras pas.

– Non, Seigneur. Je le jure au nom de ma Jeanne.

– Je veux une autre promesse : une grande, une sainte promesse ! Tu es bonne. Tu m’aimes déjà…

– Oui, beaucoup. Je suis en paix depuis que tu es ici.

– Quand Marie, femme de Simon, n’aura plus de fils, et que le monde la couvrira de… mépris, toi, toi seule tu lui ouvriras ta maison et ton cœur. M’en fais-tu le serment, au nom de Dieu et de Jeanne ? Elle, ta fille, l’aurait fait, car Marie était toujours pour elle la mère de celui qu’elle aimait toujours, poursuit Jésus.

– Oui ! »

Anne pleure…

« Que Dieu te bénisse, femme, et qu’il te donne paix… et santé… 395.8Viens, allons à la rencontre de Marie, pour lui donner le baiser de paix…

– Mais… Seigneur… Je ne peux pas marcher ! J’ai les jambes enflées et inertes. Tu vois ? Je suis ici, habillée, mais je ne suis qu’un tronc…

– Tu l’étais. Viens ! »

Et il lui tend la main pour l’inviter.

La femme, les yeux dans les yeux de Jésus, bouge les jambes, les sort du lit, pose par terre ses pieds nus, se lève, marche… Elle paraît fascinée. Elle ne se rend même pas compte de la guérison survenue… Elle sort, la main toujours dans celle de Jésus, dans le couloir à moitié obscur… Elle va vers la sortie. Elle y est presque arrivée quand elle rencontre la servante d’auparavant, qui pousse un cri de joie effrayée… Les autres serviteurs accourent, craignant que ce ne soit signe de mort. Ils voient leur maîtresse, tout à l’heure mourante et avec de la rancune envers Marie, femme de Simon, courir les bras tendus, après avoir quitté Jésus, vers Marie humiliée. Elle l’appelle, l’accueille sur son cœur, et toutes les deux pleurent…

395.9 … Pendant le retour à sa maison, après l’adieu de paix, Marie, femme de Simon, remercie le Seigneur et demande :

« Quand viendras-tu accorder d’autres bienfaits ?

– Plus jamais, femme. Je l’ai déjà annoncé aux habitants. Mais mon cœur sera toujours avec toi. Rappelle-toi, rappelle-toi toujours que je t’ai aimée et que je t’aime. Rappelle-toi que je sais que tu es bonne, et que Dieu t’aime pour cela. Souviens-t’en toujours, même au moment des heures terribles. Que jamais l’idée ne te vienne que Dieu te juge coupable. A ses yeux, ton âme apparaîtra toujours comme parée des pierres précieuses de tes vertus et des perles de ta souffrance. Marie, femme de Simon, mère de Judas, je veux te bénir, je veux te serrer sur mon cœur et te donner un baiser afin que ton baiser maternel, sincère, fidèle, soit pour moi la compensation de tout autre… et afin que le mien soit pour toi la compensation de toute douleur. Viens, mère de Judas. Et merci, merci pour tout ce que tu m’as donné d’amour et d’honneur. »

Il la prend dans ses bras et lui baise le front, comme il le fait pour Marie, femme d’Alphée.

« Mais, nous nous verrons encore ! Je viendrai à la Pâque…

– Non, ne viens pas. Je t’en prie. Veux-tu me faire plaisir ? Ne viens pas. Pas de femmes à la Pâque prochaine !

– Mais pourquoi ?…

– Parce qu’il y aura alors un terrible soulèvement à Jérusalem. Ce ne sera pas la place des femmes ! Et même… Marie, j’ordonnerai à ton parent de te rejoindre. Restez ensemble. Tu en auras besoin car… désormais, Judas ne pourra plus t’aider, ni venir…

– Je ferai ce que tu dis… Donc jamais plus, jamais plus je ne verrai ton visage où se reflète la paix du Ciel ? Quelle paix tu as déversé de tes yeux dans mon cœur douloureux… »

Marie sanglote.

« Ne pleure pas. La vie est courte. Ensuite, tu me verras pour toujours dans mon Royaume.

– Alors tu penses que ton humble servante y entrera ?

– Je vois déjà ta place dans la troupe des martyrs et des corédempteurs. N’aie pas peur, Marie. Le Seigneur sera ton éternelle récompense. Partons. Le soir vient et c’est l’heure de nous remettre en route… »

Et ils refont le trajet à travers les champs et les pommeraies jusqu’à la maison où les apôtres attendent. Jésus brusque les adieux, bénit, se met à la tête de ses disciples… Il s’en va… Marie pleure, à genoux…