485 - L’arrivée avec les apôtres à Béthanie (mercredi 12 septembre 29)

Evangiles

Pas de correspondance

Date

Mercredi 12 septembre 29

Lieu : 

Béthanie

 

Vision de Maria Valtorta :

485.1 Toutes les nuances de vert se présentent à la vue dans la campagne qui entoure Béthanie, dès que l’on a franchi le sommet de la colline et que l’on pose le pied sur son versant sud, qui descend par une route en zigzag vers la petite ville. Le vert argenté des oliviers, le vert cru des pommiers, parsemé ici et là par les premières feuilles jaunes, le vert rare et plus jaunâtre des vignes, le vert foncé et compact des chênes et des caroubiers, mêlés au marron des champs déjà labourés et qui attendent la semence, et au vert tendre des prés où pousse une herbe nouvelle et des jardins fertiles, forment une sorte de tapis multicolore aux yeux de celui qui domine Béthanie et ses alentours. Et plus en bas, se détachant sur tout ce vert, les pinceaux des palmiers dattiers, toujours élégants, qui rappellent l’Orient.

La petite ville d’Ensémès, groupée au milieu de la verdure et illuminée par le soleil qui va bientôt se coucher, est bien vite franchie ainsi que la source abondante qui se trouve un peu au nord de l’endroit où commence Béthanie, puis voilà les premières maisons…

La route a été longue, fatigante, mais, malgré leur épuisement, la seule proximité de la maison amie de Béthanie semble rendre des forces aux pélerins.

La petite ville est paisible, presque vide. Beaucoup d’habitants doivent être déjà à Jérusalem pour la fête. Aussi Jésus passe-t-il inaperçu jusque dans le voisinage de la maison de Lazare. C’est seulement lorsqu’il arrive près du jardin en friche de la maison, où il y avait tant d’échassiers, qu’il rencontre deux hommes. Ils le reconnaissent, le saluent, puis lui demandent :

« Tu vas chez Lazare, Maître ? Tu fais bien. Il est si malade… Nous en revenons après lui avoir apporté le lait de nos ânesses, la seule nourriture que son estomac digère encore avec un peu de jus de fruits et de miel. Ses sœurs ne cessent de pleurer, épuisées par les veilles et la douleur… Et lui ne fait que te désirer. Je crois qu’il serait déjà mort, si le désir de te revoir ne l’avait aidé à vivre jusqu’ici.

– J’y vais de ce pas. Que Dieu soit avec vous.

– Et… tu vas le guérir ? demandent-ils avec curiosité.

– La volonté de Dieu se manifestera sur lui, et avec elle la puissance du Seigneur » répond Jésus, laissant les deux hommes perplexes.

Il se hâte vers le portail du jardin. 485.2 Un serviteur l’aperçoit et court lui ouvrir, mais sans aucun cri de joie. Sitôt le portail ouvert, il s’agenouille pour vénérer Jésus, et dit tristement :

« Tu tombes bien, Seigneur ! Puisse ta venue être un signe de joie pour cette maison éplorée. Lazare, mon maître…

– Je le sais. Résignez-vous tous à la volonté du Seigneur. Il récompensera le sacrifice de votre volonté à la sienne. Va appeler Marthe et Marie. Je les attends dans le jardin. »

Le serviteur s’éloigne en courant et Jésus le suit lentement après avoir dit à ses apôtres :

« Je vais auprès de Lazare. Reposez-vous, vous en avez bien besoin… »

Les deux sœurs se présentent sur le seuil, et elles ont du mal à reconnaître le Seigneur tant leurs yeux sont fatigués par les veilles et les larmes, et le soleil qui les éblouit augmente leur difficulté à le voir. Pendant ce temps, d’autres serviteurs sortent par une porte secondaire à la rencontre des apôtres pour les emmener avec eux.

« Marthe ! Marie ! C’est moi. Vous ne me reconnaissez pas ?

– Oh ! le Maître ! » s’écrient les deux sœurs.

Elles s’élancent vers lui et se jettent à ses pieds, étouffant difficilement leurs sanglots. Baisers et larmes tombent sur les pieds de Jésus, comme autrefois[97] dans la maison de Simon le pharisien.

Mais, cette fois, Jésus ne reste pas raide pour recevoir la pluie de larmes de Marthe et de Marie. Maintenant, il se penche et touche leurs têtes, les caresse et les bénit par ce geste, puis les force à se lever :

« Venez. Allons sous la tonnelle des jasmins. Pouvez-vous quitter Lazare ? »

Plus par signes que par paroles, tout éplorées, elles disent que oui. Et ils vont sous le pavillon ombragé où, sous le feuillage fourni et sombre, quelque tenace étoile de jasmin blanchit et embaume.

485.3 « Parlez donc….

– Oh ! Maître ! Tu arrives dans une maison bien triste ! Nous sommes accablées de douleur. Quand le serviteur nous a dit : “ II y a quelqu’un qui vous demande ”, nous n’avons pas pensé à toi. Quand nous t’avons vu, nous ne t’avons pas reconnu. Mais tu vois ? Nos yeux sont brûlés par les larmes. Lazare se meurt !… »

Et leurs sanglots reprennent, interrompant les paroles des deux sœurs, qui ont parlé alternativement.

« Et je suis venu…

– Pour le guérir ? Oh ! mon Seigneur ! dit Marie, rayonnante d’espoir à travers ses larmes.

– Je l’avais bien dit ! Si le Maître vient… dit Marthe en joignant les mains en un geste de joie.

– Ah ! Marthe ! Marthe ! Que sais-tu des opérations et des décrets de Dieu ?

– Hélas, Maître ! Tu ne vas pas le guérir ?! s’écrient-elles ensemble en retombant dans leur peine.

– Je vous dis : ayez une foi sans bornes dans le Seigneur. Gardez-la en dépit de toute insinuation et de tout événement, et vous verrez de grandes choses quand votre cœur n’aura plus de raison de les espérer. Que dit Lazare ?

– Il fait écho à tes paroles. Il nous dit : “ Ne doutez pas de la bonté et de la puissance de Dieu. Quoi qu’il arrive, il interviendra pour votre bien et le mien, et pour le bien d’un grand nombre, de tous ceux qui, comme moi et comme vous, sauront rester fidèles au Seigneur. ” Et quand il est en mesure de le faire, il nous explique les Ecritures ; il ne lit plus qu’elles désormais, et il nous parle de toi ; il dit qu’il meurt à une époque heureuse, parce que l’ère de la paix et du pardon est commencée. Mais tu l’entendras… car il tient aussi d’autres propos qui nous font pleurer, même plus que pour notre frère… dit Marthe.

– Viens, Seigneur. Chaque minute qui passe est dérobée à l’espoir de Lazare. Il comptait les heures… Il disait : “ Et pourtant, pour la fête, il sera à Jérusalem et il viendra… ” Nous, nous qui savons beaucoup de choses que nous ne racontons pas à Lazare pour ne pas lui faire de peine, nous avions moins d’espoir, car nous pensions que tu éviterais de venir pour échapper à ceux qui te cherchent… C’était ce que pensait Marthe. Moi pas, car… si j’étais à ta place, je défierais mes ennemis. Je ne suis pas de celles qui ont peur des hommes, moi ! Et maintenant, je n’ai même plus peur de Dieu. Je sais combien il est bon pour les âmes repenties… » dit Marie avec un regard plein d’amour.

— Tu n’as peur de rien, Marie ? demande Jésus.

– Du péché… et de moi-même… J’ai toujours peur de retomber dans le mal. Je pense que Satan doit me haïr beaucoup.

– Tu as raison. Tu es une des âmes que Satan hait le plus, mais tu es aussi l’une des plus aimées de Dieu. Souviens-toi de cela.

– Oh ! je m’en souviens ! Ce souvenir fait ma force ! Je me rappelle ce que tu as dit dans la maison de Simon : “ II lui est beaucoup pardonné, parce qu’elle a beaucoup aimé ”, et à moi : “ Tes péchés te sont pardonnés. Ta foi t’a sauvée. Va en paix. ” Tu as dit : “ tes péchés ”. Non pas plusieurs, tous. Et alors je pense que tu m’as aimée, mon Dieu, sans mesure. Or, si ma pauvre foi d’alors, telle qu’elle pouvait surgir dans une âme appesantie par les fautes, a tant obtenu de toi, ma foi de maintenant ne pourra-t-elle pas me défendre du mal ?

– Oui, Marie. Sois vigilante et surveille-toi, toi-même. C’est humilité et prudence. Mais aie foi dans le Seigneur : il est avec toi. »

485.4 Ils entrent dans la maison. Marthe va trouver son frère. Marie voudrait servir Jésus, mais il veut d’abord aller voir Lazare. Ils pénètrent dans la pièce à demi obscure, où se consomme le sacrifice.

« Maître !

– Mon ami ! »

Les bras squelettiques de Lazare se lèvent, ceux de Jésus se penchent pour étreindre longuement le corps de son ami affaibli. Puis Jésus recouche le malade sur les oreillers et le contemple avec pitié. Mais Lazare sourit : il est heureux. Dans son visage ravagé, ne resplendissent vivants que ses yeux enfoncés, mais rendus lumineux par la joie de voir Jésus à ses côtés.

« Tu vois ? Je suis venu, et pour rester beaucoup avec toi.

– Ah ! tu ne le peux, Seigneur. On ne me dit pas tout, mais j’en sais assez pour te dire que cela t’est impossible. A la peine qu’ils te causent, ils ajoutent la mienne, ma part, en ne me laissant pas expirer dans tes bras. Mais, moi qui t’aime, je ne puis par égoïsme te retenir près de moi, en danger. Pour toi… j’ai déjà pourvu… Tu dois changer d’endroit sans cesse. Toutes mes maisons te sont ouvertes. Les gardiens ont reçu des ordres, de même que les intendants de mes champs. Mais ne va pas séjourner à Gethsémani, l’endroit est très surveillé. Je parle de la maison. Car dans les oliviers, surtout ceux du haut, tu peux y aller et par plusieurs chemins, sans qu’ils s’en doutent. Tu sais que Marziam est déjà ici ? Il a été interrogé par certains alors qu’il était au pressoir avec Marc. Ils voulaient apprendre où tu étais, si tu venais. L’enfant a très bien répondu : “ Il est juif, donc il viendra. Par où, je ne sais pas, puisque je l’ai quitté au lac Mérom. ” Ainsi, il les a empêchés de te dire pécheur et il n’a pas menti.

– Je te remercie, Lazare. Je t’écouterai, mais nous nous verrons souvent tout de même. »

Il le contemple encore.

« Tu me regardes, Maître ? Tu vois à quoi je suis réduit ? Comme un arbre qui se dépouille de ses feuilles à l’automne, je me dépouille d’heure en heure de ma chair, de mes forces et d’heures de vie. Mais je dis la vérité quand j’affirme que, si je regrette de ne pas vivre assez pour voir ton triomphe, je suis néanmoins heureux de m’en aller pour ne pas voir, impuissant comme je le suis pour la freiner, la haine qui grandit autour de toi.

– Tu n’es pas impuissant ; tu ne l’es jamais. Tu pourvois aux besoins de ton Ami, avant même qu’il n’arrive. J’ai deux maisons de paix, et je pourrais dire, également chères : celle de Nazareth, et celle-ci. Si là-bas se trouve ma Mère — l’amour céleste, pour ainsi dire aussi grand que le Ciel pour le Fils de Dieu —, ici j’ai l’amour des hommes pour le Fils de l’homme, l’amour amical, plein de foi et de vénération… Merci, mes amis!

– Ta Mère ne viendra jamais ?

– Au début du printemps.

– Ah ! dans ce cas, je ne la verrai plus…

– Si, tu la verras, c’est moi qui te le dis. Tu dois me croire.

– Je crois à tout, Seigneur, même à ce que les faits démentent.

– Où se trouve Marziam ?

– A Jérusalem avec les disciples, mais il rentre ici ce soir, d’ici peu, désormais. Et tes apôtres, ils ne sont pas avec toi ?

– Ils sont à côté avec Maximin, qui les restaure de leur fatigue et de leur épuisement.

– Vous avez beaucoup marché ?

– Beaucoup, sans arrêt. Je te raconterai… Pour l’instant, repose-toi. Je te bénis. »

Et Jésus le bénit et se retire.

485.5 Les apôtres sont maintenant avec Marziam et presque tous les bergers, qui les informent de l’insistance des pharisiens à obtenir des renseignements sur Jésus. Ils disent que cela a éveillé leurs soupçons, de sorte que leurs disciples ont pensé à monter la garde sur toutes les routes qui conduisent à l’intérieur de Jérusalem pour avertir le Maître.

« En effet, rapporte Isaac, nous sommes disséminés sur toutes les routes à quelques stades des Portes, et à tour de rôle nous passons une nuit ici. C’est notre tour.

– Maître, dit en riant Judas, ils racontent qu’à la porte de Jaffa il y avait la moitié du Sanhédrin : ils se disputaient, car certains rappelaient mes paroles d’Engannim ; d’autres juraient avoir appris que tu avais été à Dotaïn ; d’autres, enfin, disaient t’avoir vu près d’Ephraïm, et cela les rendait furieux de ne pas savoir où tu étais passé… »

Et il rit du bon tour qu’il a joué aux ennemis de Jésus.

« Demain, ils me verront.

– Non, demain, c’est nous qui y allons. C’est déjà convenu : tous en groupe, et en nous mettant bien en vue.

– Je ne veux pas. Tu mentirais.

– Je te jure que je ne mentirai pas. S’ils ne me disent rien, je ne leur dis rien. S’ils nous demandent si tu es avec nous, je répliquerai : “ Ne voyez-vous pas qu’il n’est pas là ? ”, et s’ils veulent savoir où tu te trouves, je répondrai : “ Cherchez-le vous-mêmes. Comment voulez-vous que je sache où est le Maître, à ce moment précis ? ” En effet, je ne pourrais certes pas savoir si tu es à la maison, ici, ou dans les vergers, ou bien je ne sais où.

– Judas, Judas, je t’ai dit…

– Et moi, je te dis que tu as raison. Mais ce ne sera pas toujours de ma part simplicité de colombe, mais prudence de serpent. Toi, tu es la colombe, moi le serpent. Et ensemble nous formerons cette perfection que tu as enseignée[98]. »

Il prend le ton qu’a Jésus quand il instruit, et imite le Maître à la perfection :

« Je vous envoie comme des brebis parmi les loups. Soyez donc prudents comme les serpents et simples comme les colombes… Ne vous souciez pas de ce que vous devez répondre, car les mots vous seront mis sur les lèvres, et ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit en vous… Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre jusqu’à ce qu’arrive le Règne du Fils de l’homme… ” Je rappelle tes paroles et c’est le moment de les appliquer.

– Je ne les ai pas formulées ainsi, et pas celles-là seulement, objecte Jésus.

– Pour le moment, il ne faut se rappeler que celles-là, et les formuler ainsi. Je sais ce que tu veux dire. Mais si la foi en toi ne s’est pas bien établie — et c’est une pierre dans ton Royaume — il ne faut pas se livrer aux ennemis. Ensuite… nous dirons et ferons le reste… »

L’expression de Judas est si brillante d’intelligence et d’espièglerie, que, sauf Jésus qui soupire, il conquiert tout le monde. C’est vraiment le séducteur auquel rien ne manque pour triompher des hommes.

Jésus, préoccupé, réfléchit… Mais il se rend, en remarquant que la prévoyance de Judas n’est pas entièrement mauvaise. Judas expose triomphalement tout son plan.

« Nous irons donc demain et après-demain jusqu’au lendemain du sabbat, et nous resterons dans une cabane de branchages dans la vallée du Cédron, en parfaits juifs. Eux se lasseront de t’attendre… et alors tu viendras. En attendant, tu resteras ici, tranquille, à te reposer. Tu es épuisé, mon Maître, et nous ne le voulons pas. Une fois les portes closes, l’un de nous viendra te relater ce qu’ils font. Ah ! comme ce sera beau de les voir déçus ! »

Tous sont d’accord, et Jésus n’oppose pas de résistance. Ce sont peut-être son extrême fatigue, ou le désir de réconforter Lazare, de lui apporter tout le soutien possible avant la lutte finale, qui le décident à céder. Peut-être aussi le réel besoin de se garder libre tant que ne sont pas accomplies toutes les œuvres nécessaires pour qu’Israël ne doute pas de sa Nature avant de le juger comme coupable… Il dit, ce qui est sûr :

« Qu’il en soit ainsi. Mais ne cherchez pas querelle, et évitez les mensonges. Taisez-vous plutôt que de mentir. Allons maintenant, car Marthe nous appelle. Viens, Marziam. Je te trouve meilleure mine… »

Et il s’éloigne en parlant, un bras autour des épaules du tout jeune disciple.

 

[97] comme autrefois, en 236.2.

[98] enseignée, en 265.7/9.