496 - Halte dans la petite maison de Salomon (vendredi 21 septembre 29)

Evangiles

Pas de correspondance

Date

Vendredi 21 septembre 29

Lieu : 

Béthabara

 

Vision de Maria Valtorta :

496.1 Pour éviter d’être vus, ils entrent dans le village où se trouve la petite maison de Salomon en remontant la berge du fleuve. Précaution inutile, à mon avis, parce que le soir précoce de novembre ou de fin d’octobre tombe, et les habitants sont déjà rentrés chez eux. Le chemin est vide, absolument vide, et s’il n’y avait quelques bêlements, on aurait cru l’endroit désert.

Ils secouent le portillon. Il est fermé, bien fermé sur le petit jardin que, malgré la pénombre, on voit en bon ordre.

« Appelez ! Il est dans la cuisine. Un filet de lumière passe à travers les volets » dit Jésus.

Thomas, de sa voix puissante, se charge de héler le vieillard, qui ouvre aussitôt la porte en regardant du côté de la route. Il y voit mal, à cause du peu de jour à l’extérieur, et parce qu’il sort de la cuisine où le feu éclaire et où une lampe est allumée.

Mais quand Jésus lance : “ C’est nous ”, le vieil homme reconnaît immédiatement sa voix et s’écrie : “ Le Maître ! ” Aussitôt, il descend les quelques marches et court ouvrir.

« Mon Seigneur ! Entre, entre dans ta maison et que soit béni le jour qui s’achève par ta venue ! » dit-il en s’affairant autour de la fermeture du portail.

Et il explique :

« Je suis seul et je ferme soigneusement… Les voleurs sont capables de tout. Il y en a qui font des dégâts ici ou là, en descendant des monts de Galaad dans la vallée. Ce n’est pas que je craigne pour ma vie, mais j’avais fait des préparatifs pour toi et… Voilà, Maître, viens. La soirée est humide et tes cheveux sont trempés de rosée[120]…

– Et tu es plus empressé que l’épouse du Cantique, père. Cela ne t’ennuie pas de te déranger pour accueillir le Pèlerin, dit Jésus en souriant.

– Me déranger ? Comme le temps était long ! Je t’ai attendu jour après jour. J’avais semé vos graines et je voyais les légumes pousser. Je me disais : “ S’il venait, cela lui plairait sûrement. ” Mais ils sont arrivés à maturité et tu n’es pas venu… Et je voyais les fruits qui se coloraient sur les arbres et j’en mangeais à regret, puisque tu n’en profitais pas. Cette brebis m’a donné un agneau, tout blanc. Je l’ai gardé longtemps pour le manger avec toi. J’espérais te voir avant la fête des Tentes. D’ailleurs… un agneau entier pour moi, c’était trop ! Je l’ai échangé contre une petite brebis, et ils ont été bons au point de refuser la différence. Mais des fruits et des fromages, j’en ai gardé le plus possible pour toi, ainsi que du poisson séché et des légumes. Il me reste encore quelques melons. Et un peu de vin… moi, je n’en bois pas, mais je l’ai préparé pour toi, pour l’hiver. »

496.2 Tout en parlant, il essuie la table, y pose la vaisselle, attise le feu, ajoute de l’eau dans le chaudron et il s’affaire, visiblement heureux. Il ne ressemble plus au pauvre vieux d’il y a quelques mois.

Il sort, revient avec du lait, s’excuse :

« Il y en a peu, car il n’y a qu’une brebis qui donne du lait. Il y en aura bientôt deux. Mais pour toi, cela suffit. »

Il est à la fois dévoué et paternel. Il a pris les manteaux humides, les sandales boueuses et les a portés ailleurs. Il est revenu avec des pommes, des grenades, du raisin et quelques figues à moitié sèches, et il explique :

« Je les ai séchées ainsi pour te les faire goûter. Je pensais… je pensais que mon petit Ananias les aimait tant, préparées de cette façon !… »

A ces mots, sa voix, auparavant paisible, baisse tristement, et il achève :

« Et… et je pensais qu’elles te feraient plaisir et, en les préparant… j’avais l’impression que c’était encore pour mon petit-fils. »

Il secoue la tête et s’efforce de sourire, mais des larmes brillent dans ses yeux.

Jésus, qui s’était assis à table, se lève et passe un bras au cou du vieil homme en l’attirant à lui :

« Je les aime beaucoup. Cela me rappelle mon enfance… et mon père. Mais il ne fallait pas te priver de tant de bonnes choses pour moi ! Elles t’auraient fait du bien. Tu dois être en bonne santé et fort pour m’accueillir toujours de cette façon. C’est si doux de trouver une telle maison, avec un père qui nous attend. N’est-ce pas, mes amis ?

– Bien sûr ! C’est même tellement beau, qu’on paresse sans aider Ananias » s’exclame Pierre, qui se lève en disant : « Eh bien, allons préparer nos lits pendant que Jésus parle avec notre ami.

– Oh ! c’est inutile, ils sont toujours prêts et tout est propre… Seulement… il n’y en a pas assez. Vous êtes plus de douze. Mais j’irai dormir sur le foin et…

– Ah non, père ! C’est moi qui vais y aller ! s’écrie Jean.

– Non, moi, déclarent André et les autres.

– Non, ce n’est pas nécessaire. Moi je dors ici, sur cette table. Elle n’est certainement pas plus dure que le fond de ma barque, et Marziam… dit Pierre.

– Il dort avec moi… interrompt Jésus.

– Ou avec moi, si tu veux… comme le faisait le petit Ananias » murmure le vieillard.

Ses yeux se font implorants.

« Oui, Maître. Toi, tu m’as encore. Lui… Je vais avec lui » déclare Marziam.

Comprenant son geste, Jésus lui fait une caresse.

496.3 « Ils sont venus te chercher à plusieurs reprises, après la Pentecôte. Puis ils ont cessé de venir, dit ensuite le vieil homme.

– Qui le recherchait ?

– Des pharisiens, tiens ! Et d’autres comme eux. Ils voulaient t’interroger. Mais moi, j’ai répliqué : “ Allez à son village. Il n’est pas ici, et je ne sais pas quand il viendra… ” C’était vrai, et ils se sont lassés. Ils cherchaient aussi quelqu’un d’autre, un certain Jean, qu’ils disaient être avec toi et qu’ils pensaient peut-être caché ici. J’ai répondu : “ Mais c’est son apôtre, il est avec lui. ” Ils ont repris : “ Serait-il borgne, son apôtre, et vieux, malade, mourant ? ” J’ai compris que ce n’était pas toi, et j’ai répondu : “ Je ne connais que l’apôtre Jean, un bon jeune homme, presque un enfant. Il est sain de cœur et en bonne forme physique. ” Ils m’ont menacé. Mais que pouvais-je dire d’autre ? C’est la vérité…

– Oui, c’est la vérité. Et sois toujours franc ; même si tu devais me porter tort, ne mens jamais, père.

– Seigneur, mes cheveux ont blanchi en désirant toujours obéir au Seigneur. Et parmi les obéissances, il y a aussi celle de ne pas dire de choses fausses. Mais… pourquoi te cherchent-ils ainsi, Seigneur ? Moi, j’étais aveugle. Je ne me rendais donc pas à Jérusalem. J’y suis retourné maintenant… Rien que pour le rite, car je voulais être ici à t’attendre… J’ai senti haine et amour autour de toi… Et j’ai jugé qu’il y a plus de haine que d’amour chez les chefs du peuple. J’étais au Temple, ce matin où ils voulaient t’offenser… et je m’en suis enfui, désolé, pour t’attendre et pleurer ici. Pourquoi l’homme est-il si méchant ?

– Parce qu’il a tué son âme. Et avec son âme, la capacité de sentir le remords d’être injuste.

– C’est vrai !… Et ils te cherchent pour te faire du mal ?

– Oui.

– Oui ? Israël veut donc nuire à son Roi ? Quelle horreur ! Israël se condamne aux châtiments annoncés par les prophètes !… Ah ! je suis content, maintenant, que mon fils soit mort… et je voudrais mourir moi aussi pour ne pas voir le péché d’Israël… »

496.4 Un grand silence s’établit. On n’entend que le crépitement du bois dans le feu.

« Mais parlons d’autre chose ! On ne parle que de mort, de haine, de trahison ! Assez ! Assez ! Je ne peux en entendre plus ! » vocifère Judas.

Il est bouleversé, nerveux, il a les yeux torves, et il gesticule dans la cuisine, remuant les jambes, les bras, tout son corps.

« Judas a raison, approuvent certains.

– Mais ne pas vouloir entendre ne sert à rien. Ce qu’il faut, c’est ne pas consentir, dit Jésus avec son geste résigné d’ouvrir les mains, les paumes tournées vers le haut, au-dessus de la table rustique.

– Que veux-tu dire ? Consentir ? Qui consent à cela ? »

Judas agite les mains, presque sur le visage de Jésus, en se penchant, comme s’il se jetait sur la table pour atteindre le Maître.

« Qui ? Tous ceux qui rêvent déjà de me voir périr dans mon sang. Sang ! Sang de ton Messie ! Sang sur toi, terre, qui ne veux pas de ton Seigneur ! Sang plus resplendissant que ces flammes ! Sang, feu dans la glace et les ténèbres d’un monde criminel ! Ils espèrent tuer la Lumière en lui enlevant son sang. Mais la lumière, c’est l’âme ; le sang est encore de la matière. La matière alourdit l’esprit. Le sang sur une plaque de mica affaiblit la lumière, n’est-ce pas ?

Ce bois n’éclairait pas jusqu’au moment où il est devenu flamme, et ses résines, en s’embrasant, se sont changées en splendeur, formant maintenant une lueur incandescente. En vérité, en vérité je vous dis que de la même façon, quand tout sera accompli et que le sang et la chair auront été consumés par le sacrifice, alors, comme ce feu qui a maintenant tout changé en lumière, mon esprit flamboiera plus que jamais sur le monde et je serai plus que jamais lumière. Une lumière telle, qu’elle éblouira pour toujours ceux qui la haïssent et ont voulu la tuer. Une lumière telle, qu’elle fera fondre les portes d’or des Cieux, fermées à l’humanité depuis tant de siècles, et le Ciel s’ouvrira aux justes. Une lumière telle, qu’elle percera les pierres qui forment la voûte de l’Abîme et l’horrible feu de l’enfer deviendra d’une atrocité extrême sous l’éclat de mes rayons. Et malheur, malheur, malheur à ceux qui auront dressé des embûches à la lumière ! Sang et lumière ! Ils seront tous deux devant eux, jusqu’à les rendre fous et désespérés : des démons ! »

Jésus, qui s’était levé en disant “ en vérité ” et avait fait peur, tant il était imposant, ainsi auréolé par les flammes du foyer, dans la basse cuisine aux murs sombres, s’assied et se tait.

496.5 Tous se regardent les uns les autres. Tous, sauf Judas que la vue du bois qui flambe semble hypnotiser, épouvanter… Sa terreur lui donne un masque atroce, d’une pâleur verdâtre et livide, sur lequel le feu de bois lance des reflets rougeâtres. Il me rappelle son visage effrayant du vendredi saint. Puis il se tourne brusquement et crie :

« Mais tais-toi donc ! Tais-toi ! Pourquoi nous tourmentes-tu ? »

Et il sort en claquant la porte…

« C’est sa manière de faire, c’est vrai, mais il t’aime beaucoup… et il souffre d’entendre certains mots » dit Thomas, qui conclut : « Ils nous font bien mal à nous aussi ! Mais nous, nous sommes moins… étranges, oui, disons : étranges… »

Tous restent silencieux. Jésus lui-même se tait…

« Les légumes sont cuits, le lait est chaud… » signale Ananias, intimidé, en parlant tout bas, comme s’il n’osait dire cette banalité après une telle algarade…

« Appelez Judas et dînons » ordonne Jésus.

Jean sort pour appeler son compagnon. Ils rentrent… Judas a le visage tourmenté, sans le moindre signe d’apaisement… Il s’assied cependant à table et se lève avec les autres quand Jésus offre et bénit, mais il le regarde par en dessous quand Jésus fait les parts en gardant pour lui la dernière.

Tout le monde voudrait dissiper la tristesse qui règne dans la pièce. Personne n’y parvient jusqu’à ce que Jésus lui-même s’adresse au vieillard pour lui demander si le hameau et les alentours ont accueilli la parole du Seigneur.

« Oui, oui, Maître. Et vraiment bien, mieux que sur l’autre rive, à mon avis. Tu sais… le souvenir de Jean-Baptiste est très vif ici, et ses disciples, qui sont maintenant les tiens, le gardent éveillé et te mettent en lumière au moyen de ses paroles. Et puis… ici… en Pérée et en Décapole, il y a peu de pharisiens, par conséquent… »

 

[120] trempés de rosée, comme les cheveux de l’époux en Ct 5, 2.